Hamma Hammami : « Nous n’hésiterons pas à inviter ce peuple à renverser toutes ces institutions de la transition. »

Salah Ben Omrane 19 juin 2013  22:25

 Affiche du Front PopulaireDimanche dernier, lors du rassemblent organisé par la coordination Ile de France du Front Populaire qui a eu lieu à la Bourse du Travail de Saint Denis, près de Paris,  Hamma Hammami, porte parole du Front, a saisi cette occasion pour lancer un avertissement à ceux qui conduisent les affaires du pays en ce moment. Il l’a  adressé à ceux qui avaient été mandatés par le peuple, de rédiger la nouvelle constitution: « Soit cette période transitionnelle se termine vite, dans un délai précis, par des élections libres, transparents et une constitution démocratique, soit, nous n’hésiterons pas à inviter ce peuple à renverser toutes ces institutions de la transition, qui a déjà dépassé la période d’un an qui lui était allouée.(1) »

Un message clair, lancé devant un public de Tunisiens de France, leurs amis et de nombreux sympathisants du Front Populaire. Il a été suivi d’un tonnerre d’applaudissements qui a fait vibrer la grande salle de la Bourse.

Le public était là au rendez-vous, sur invitation de la Coordination Ile de France du Front Populaire pour accueillir Hamma Hammami, le porte parole du Front Populaire, venu spécialement de la Tunisie pour ce meeting en compagnie de Zied Lakhdhar, le Conseil des Secrétaires du Front et de Basma Khalfaoui, veuve du martyr Chokri Belaid.

Basma Khalfaoui, en montant à la tribune, venait de plier en quatre le papier de son intervention qu’elle avait si bien soigneusement préparée, préférant parler au public, en le regardant droit dans les yeux. Un moment de grâce qui a ému et conquis l’auditoire.

 Ce fût des mots qui alternent l’arabe et le français. Un langage compréhensible par tous et d’une extrême pudeur. C’était les mots de la compagne de route  de Chokri, celui qui avait décidé de poursuivre le chemin de la lutte pour une Tunisie où  chacun peut participer avec ce qu’il a de meilleur en lui tout en faisant front, et en commun, contre l’abjection, l’injustice, le mépris et la haine de l’autre. Des mots d’une épouse qui était à la fois solidaire avec le combat de son mari et inquiète de ce qui pouvait lui arriver, compte tenu des menaces de mort. C’était les mots  d’une mère de deux filles pour qui, la vie de leur père venait d’être préemptée par le livre de l’Histoire  de la Tunisie.

 Plus que des mots, c’était des traits de pinceaux d’une peintre impressionniste, qui ont dressé en instantané à une salle qui retenait son souffle, la figure d’un homme assassiné un matin du six février 2013, devant son domicile, et que depuis, il n’y a eu aucun signe fort qui peut laisser croire qu’on veut sérieusement attraper les criminels et désigner les commanditaires. Un homme qui ne se laissait pas intimider. Seule la lâcheté de ses adversaires pouvait le faire taire.  Basma Khalfaoui avait conclu son intervention en rappelant : « Il a donné son sang pour ce pays. Il voulait un État démocratique civil social. La justice sociale. La répartition égale des richesses. La liberté!  Il était conscient qu’on est dans un processus révolutionnaire. Que ce processus avait besoin de sacrifices. Il en était conscient et il était prêt pour cela. »

Hakim Bécheur, le coordinateur d’Al Qotb France, est intervenu, rappelant à tous, la nécessité historique qui a motivé la Formation d’Al Qotb, pour rejoindre le Front Populaire. Il a fustigé l’action gouvernementale et sa mainmise sur les rouages de l’administration : « On ne veut pas de cette justice qui condamne à de lourdes peines de prison de jeunes gens pour avoir fait valoir leur liberté de conscience, pour avoir protesté contre le moralisme ambiant, sans qu’aucune violence ne soit exercée envers quiconque. Non pas cette justice qui dans le même temps laisse en liberté des personnes qui profèrent des menaces de mort qui saccagent des ambassades et qui veulent terroriser la population au prétexte de détenir la vérité absolue.»

 Zied Lakhdhar, après une description de l’atmosphère ambiante que vivent les Tunisiens au quotidien, il a concentré son intervention sur un enjeu majeur qui préoccupe le Front Populaire: l’écriture de la Constitution. Il a dit ceci: « Le rapport de force se cristallise aujourd’hui autour de la prochaine constitution: soit c’est une constitution sur des principes démocratiques qui met en avant les droits et les libertés et fixe les droits sociaux et économiques fondés sur l’organisation mondiale des droits de l’homme qui fait naître un État civil démocratique républicain ou une constitution telle la dernière copie qu’ils tiennent à faire passer, qui propose des vides multiples avec des lectures multiples parmi lesquelles, l’article 141 qui dicte que la religion de l’islam est une religion de l’État, et vous savez que ceci est le portail d’entrée vers un État théocratique »

Parmi les intervenants amis du Front Populaire, nombreux s’étaient déplacés au Forum Social Mondial qui s’est déroulé à Tunis entre le 26 et 30 mars dernier. Ils ont fait état de leur chaleureux soutien au Front Populaire et à la Tunisie, en mettant en perspective les enjeux auxquels sont confrontés les peuples qui luttent pour un monde, plus équitable,  plus juste et plus respectable envers tous dans la répartition des richesses. Corinne Morel Darleux représentante du Parti de Gauche appuyait cela dans son intervention: « Nous devons continuer à tisser des combats communs. Cela sera d’autant plus facile que nos adversaires, voire nos ennemis, sont les mêmes. En France comme en Tunisie, les réactionnaires, l’extrême-droite, s’attaquent toujours aux étrangers et à la gauche, aux syndicalistes pointés comme ennemis. En Tunisie, comme en France, l’oligarchie financière continue à spolier le peuple pour préserver ses intérêts. En Tunisie comme en France, ces forces rechignent toujours à donner la parole au peuple, quand elles ne le bâillonnent pas de force. »

Hamma Hammami  a affirmé que le quotidien du Tunisien est devenu insupportable. La vie est devenue chère. Il a même prévenu : « Si chère au point ou nous craignons que le jour où il y aura des élections, on ne ne sera plus là! On sera vaincu par la sous alimentation. C’est la hausse des prix qui massacre les Tunisiens« . Il a rappelé que pendant ce temps là, le chômage sévit,  les inégalités entre régions se poursuivent et l’environnement, le cadre de vie des Tunisiens, est saturé par la pollution.

Il disait qu’en quatre ou six mois, la constitution aurait pu s’écrire. « Qu’aux dernières révélations, des personnes se sont emparées de son écriture. Parmi elles, il y a un monsieur qui tient le carnet, et il y va  de son inspiration! Des commissions spécialisées qui entrent et qui sortent avec des décisions, et lui, il les met de côté et il poursuit le fil de son imagination. Il vous répond quand on l’interroge, qu’il a fait beaucoup de concessions. Des concessions en quoi ? Des concessions sur une constitution qui  aurait pu être faschiste et dictatoriale? » 

Hamma Hammami a tenu à faire le point que l’Islam n’est pas le problème pour la Tunisie, que ce sont plutôt les camouflages et les incrustations que mettent les gens d’Ennahda dans l’Islam, qui posent problème .

Il a conclu en rappelant que sans même discuter sur le contenu du programme du gouvernement actuel, ce gouvernement, dans la forme, n’a pas à prendre des décisions déterminantes,  qui compromettent  le pays dans son économie, son indépendance et sa souveraineté. Il a cité à titre d’exemples, l’accord avec le Fond Monétaire International (FMI) et les portes d’entrées ouvertes au Qatar et à l’Arabie Saoudite dans des conditions qu’on refuse même à un Tunisien et impensables dans une économie saine qui agit en toute transparence. Il a cité un  exemple illustrant son propos:  » Quatre vingt mille hectares ont été repris par l’État voici deux ans déjà. Le ministre de l’agriculture ne les a pas exploités. Il attend le Qatar et l’Arabie Saoudite pour les reprendre. Les agriculteurs meurent de faim. Cela ne pose pas de problème. L’agriculteur qui prend l’initiative de labourer une minuscule parcelle, il se retrouve devant un tribunal. Ils vendent le pays ! C’est des rentiers! Ils ne connaissent rien de l’exploitation des terre, rien à l’agriculture, ni à l’industrie. Ils ne savent que vendre, augmenter les prix, augmenter les taxes  et courir après les crédits. »

Tout s’est déroulé dans une atmosphère de fête. Dès qu’on entre dans la Bourse, on est accueilli par le son de la musique. Une documentation variée composée  de livres, de tracts, et de journaux, est disposée sur une large et grande table à l’entrée de la salle. Ceci pour l’éveil visuel. Quand à l’éveil de la faculté du goût, boissons, café, gâteaux tunisiens et sandwichs sont à la disposition des visiteurs et qu’on ne peut pas manquer. À l’intérieur de la grande salle, dessins et caricatures sont exposés à l’aide d’un vidéoprojecteur. Il y a eu même une activité assez originale qui a fait appel à la participation des membres du public. Sur scène, on construisait des images figées expressives, par le moyen de quelques volontaires qui se sont prêtés au jeu, qui représentent l’oppression de la femme. L’animatrice ensuite, s’adressait au public, à la recherche de tout volontaire qui voudrait, monter sur scène et rompre la configuration visuelle du schéma de l’oppression. Ce fut une belles occasion pour au moins éviter les crampes physiques  à côté d’un riche programme de la journée qui se destinait à bannir les crampes mentales.

 

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(1) L’article 6 du Décret présidentiel n°2011-1086 du 3 août 2011, invite les futurs membres de l’Assemblée nationale constituante, à élaborer la constitution dans un délai maximum d’un an, à compter de la date de l’élection leur assemblée. Le texte en arabe :

أمر عدد 1086 لسنة 2011 مؤرخ في 3 أوت 2011 يتعلق بدعوة الناخبين لانتخاب أعضاء المجلس الوطني التأسيسي

 الفصل 6  : يجتمع المجلس الوطني التأسيسي بعد تصريح الهيئة المركزية للهيئة العليا المستقلة للانتخابات بالنتائج النهائية للاقتراع و يتولى إعداد دستور للبلاد في أجل أقصاه سنة من تاريخ انتخابه

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