Le baroud d’honneur de quelques avocats à la justice

Salah Ben Omrane  dimanche 23 février 2014 15:00

  Un juge d’instruction a émis un mandat d’arrêt à l’encontre d’une avocate, faisant suite à l’examen d’une plainte pour escroquerie, qui avait été déposée par un client de ladite auxiliaire de justice.

  À ce stade de l’affaire, celait aurait pu être un évènement ordinaire dans le quotidien des tribunaux en Tunisie. Certains n’auraient pas résisté à dire « on enferme facilement dans ce pays » prenant la privation de liberté de l’individu pour une règle et le laisser en liberté pour une exception lorsqu’il est mis en cause pénalement, même si l’individu en question ne constitue pas une menace pour autrui, pour lui-même ni pour l’enquête. D’autres auraient lancé: « les avocats sont après tout des justiciables comme tout le monde;  ils ne peuvent pas être au dessus de la loi et bravo pour le juge qui n’a pas fait de distinction dans le traitement ! ». C’est l’occasion de rappeler que la privation de liberté, quand elle n’est pas une condamnation par un tribunal, quand elle ne se justifie pas véritablement, est une décision gravissime qui doit être entourée de toutes les garanties indispensables propres à la défense du mis en cause. Le juge d’instruction doit instruire à charge et à décharge de tout prévenu et la condamnation n’est pas de son ressort. Seul un tribunal peut s’en occuper.

  Néanmoins, de nombreux Tunisiens, même s’ils n’ont pas connaissance du dossier, c’est classique, s’y seraient reconnus et s’y seraient identifiés à la partie plaignante, présumée  victime d’une escroquerie de la part de son conseil. Car, ils sont nombreux ceux qui s’estiment, un jour, avoir été lésés financièrement en ayant eu à faire à un avocat véreux  et sans scrupules. Ils se sont sentis dégoûtés quand ils ne se seraient pas trouvés, tout simplement ruinés, et qu’ils ont fini par lâcher prise, oubliant leurs affaires et leurs avocats avec. Parfois  en y laissant des plumes bien imbibées de sang. Il y a en effet un manque de transparence dans les coûts des services avec des barèmes qui devraient  être connus publiquement, en matière de la tarification des services de l’avocat conseil. Or toutes ces réflexions ne présument rien dans l’affaire dont il est question. Il y a des voies de recours qui sont prévues par la loi, si l’avocate en question considère que la décision du juge d’instruction, privative de liberté, est abusive.

  La décision du juge a mis le feu aux poudres parmi les pas moins de deux cents avocats enrobés, venus spécialement s’enquérir sur le sort qui allait être réservé à leur consoeur, à l’issue de son audience dans le cabinet du juge.  Ils ont bruyamment manifesté leur colère en réprobation de la décision du juge, qui à leur regard, n’a pas respecté les formes et procédures d’usage en ce qui concerne la mise sous séquestre de la liberté de se mouvoir de la consoeur. Le ton est monté en direction du cabinet du juge. Une situation qui a amené vers l’intervention des forces de l’ordre pour que le juge puisse quitter les lieux, lui ouvrir un passage dans l’attroupement qui s’est constitué devant son bureau. Et on a appris dans les heures qui ont suivi, de la même journée de ce 20 février, que la cour d’Appel de Tunis a décidé que l’avocate en question, soit remise en liberté.  Le Syndicat des Magistrats Tunisiens (SMT), alerté par le cas de « pression » devant le cabinet du juge et de l’enchainement des évènement, a pris sa décision de mobiliser les magistrats sur ce fait qui sans aucun doute porte atteinte au statut des magistrats dan leur ensemble. Le syndicat a lancé ce samedi 22 février 2014, un appel à la grève de tous les magistrats qui devra avoir lieu demain lundi 24 février.

  Cet évènement ne fait que renforcer le sentiment d’insécurité judiciaire des Tunisiens qui viennent d’avoir la preuve que le corporatisme s’avère payant. Celui qui n’appartient à aucune confrérie professionnelle, est d’ores et déjà privé d’une justice cinq étoiles qui fait pression devant la porte du juge qui examine son affaire, et qui parvient à obtenir une décision de justice qui annule la première, à quelques heures d’écart.  

  Pas de quoi être fier en faisant parade qu’on a les moyens autres que ceux que la loi fournit, pour obtenir une décision de justice. Pas de quoi être fier quand on arrache  une décision de justice en faisant usage de quelques « arguments » de persuasion qui échappent à loi, tels la pression injustifiée sur la justice, l’intimidation d’un juge, peu importe sa nature, sa réputation et les motifs qui l’ont amené à prendre une décision. 

  Comment peut-on, dans ces conditions et par cette démonstration, inciter le justiciable à respecter les procédures inscrites dans la loi, face à ce qu’il pourrait considérer comme abus et en opposition à ses droits ?

 Une justice saine, ne se construit pas à coups de lois uniquement. Il est demandé en premier à ses serviteurs de faire au moins semblant d’y croire et de faire confiance. À quoi bon rédiger une constitution, inventer des lois quand des auxiliaires de justice font une démonstration musclée que les lois écrites sur le papier sont réservées uniquement pour les orphelins des corporations ?

Additif: 

Mme Raoudha Laabidi , Présidente du Syndicat des Magistrats Tunisiens (SMT), dans la conférence de presse organisée lundi 24/02/2014 :

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Des communiqués concernant cette affaire :

1 Communiqué du Syndicat des magistrats Tunisiens

2 – Communiqué du Syndicat des magistrats Tunisiens(page 1)  24-02-2014

        – Communiqué du Syndicat des magistrats Tunisiens(page 2)  24-02-2014

►3 – Communiqué du Comité national des avocats Tunisiens du 22-02-2014/ page 1

   –  Communiqué du Comité national des avocats Tunisiens/page  du 22-02-2014  -page 2

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