Un inquiétant projet de lois contre le terrorisme

Salah Ben Omrane  24/07/2014   18:12

  Depuis le temps qu’on parle du fameux projet de lois antiterroristes, qui dit-on, est examiné en ce moment par une commission spéciale de l’Assemblée constituante*, il m’est impossible de me le procurer.

 Faisant des recherches sur le net, j’ai pu trouver sur Marsad -Albawsala, sites informatifs sur l’Assemblée constituante, une copie du projet. Elle est en langue française. Drôlement inquiétant s’il n’existe pas un véritable projet dans la langue d’Ibn Khaldoun ! Le site indique bien que c’est une traduction mais rien n’indique si la copie présumée source, qui par ailleurs est invisible, est rédigé en arabe, en allemand, en ‘espagnol ou en anglais.

 Toujours le même site annonce que cette version en langue française est produite par le DCAF. Qu’est ce que c’est que le DCAF ? Aucune indication sur cet acronyme, qui figure d’ailleurs en tête de chacune des pages du projet, tout en gardant le secret de l’anonymat. Il faut chercher ailleurs sur le net, si on tient  à éclairer notre lanterne sur l’acronyme.

 Rappelons tout de même, qu’il est important de savoir qui est ce DCAF qui se soucie de la sécurité intérieure de la Tunisie, sujet qu’on peut considérer sans se tromper, qu’il est d’une haute importance pour les Tunisiens ?

 Une promenade sur le net suffit pour déchiffrer l’acronyme et se rendre compte qu’il correspond à une fondation internationale intitulée : Geneva Centre for the Democratic Control of Armed Forces (DCAF). Que cette fondation a un pied à terre  à Tunis **.

C’est suffisant pour avoir de quoi être perplexe. Faut-il remercier une fondation qui se trouve à Genève, peu importe son activité, pour le fait qu’elle a réussi à fournir des informations sur un projet concernant la sécurité publique en Tunisie, que ces mêmes informations sont inaccessibles dans le pays même concerné et dans sa langue officielle, ou est-ce que pour ces mêmes raisons, il y a matière à s’inquiéter, car s’il doit y avoir un projet de lois en ce qui concerne la sécurité publique en Tunisie, tout projet ne peut qu’être d’abord une affaire interne au pays, puis rendu publiquement et en toute transparence ?

Sommes-nous face à un ready made, un plat cuisiné ailleurs ?

Voyons de quoi il s’agit ?
Son titre s’intitule : « Projet de loi organique n°2014-9 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent« .
Pour ce qui de « la lutte contre le terrorisme« , tel qu’il apparaît dans le titre, il n’y a rien à redire. Mais si l’État se met à « réprimer le blanchiment d’argent« , il en demeure un problème.

 Le blanchiment d’argent est un corollaire d’une ou plusieurs infractions, qui se constituent par des activités illégales ou qui peuvent être la conséquence d’un revenu, voire d’un financement réalisés dans l’illégalité. « Réprimer le blanchiment d’argent » , tel que cela figure dans le titre, c’est admette que par principe, que si le fruit de l’infraction à la loi, qu’est l’argent sale, prend le chemin du recyclage, son(ou ses) auteur(s) est(sont) réprimé(s). Comprenons par là, que le détenteur de l’argent sale ne rencontre la répression de la loi que lorsqu’il blanchit son argent. Autrement il ne tourne pas son dos à la loi! Le rédacteur du projet de loi par ce titre, demande à la justice de s’attaquer au blanchiment de l’argent par le recyclage. Par contre, il omet qu’il existe une ou plusieurs sources, qui ont permis le cumul de l’argent sale. Ces sources et moyens pour obtenir l’argent à blanchir , ne sont ni évoquées ni visées dans le titre. Comme pour toute loi, ce qui n’est pas interdit, est permis. On a ainsi la bénédiction de la loi de l’argent sale à la condition que l’auteur ne se fasse pas attraper en le recyclant.

  Autres exemples d’aberrations dans ce projet, en ce qui concerne sa forme et son contenu, sans aller jusqu’à lui consacrer autant de pages qu’il ne contient. On jette un coup d’oeil sur son article 3 qui donne une définition de « l’organisation terroriste« . Il est écrit ceci : « Un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre sur le territoire de la République ou à l’étranger , l’une des infractions terroristes prévues par la loi ... »

Trois remarques sur cet article :

– C’est à comprendre que deux individus qui commettent un acte terroriste n’auront pas droit au titre de terroristes. la définition est claire là-dessus. Il y a de quoi les décevoir. la loi antiterroriste, avec tout son arsenal en régime spécial de garde à vue, d’écoutes téléphoniques et de communication avec l’extérieur et autres, butera dans son application lorsqu’il manquerait un troisième individu pour acquérir le quota du nombre qui donne le droit à la dénomination de terroristes faisant partie d’une organisation.

– Arrêtons nous à cette phrase de l’article  » dans le but de commettre sur le territoire de la République ou à l’étranger , l’une des infractions terroristes prévues par la loi ».
L’auteur du projet de loi ouvre une porte inhabituelle dans les futurs procès. Il est question de juger l’individu sur son intention et non sur ses faits commis, puisqu’il est reconnu par cet article que ce même individu « avait un but » et que la caractérisation du délit ou du crime se fonde non pas sur ce qu’il a fait mais sur une supposée intention de ce qu’il comptait faire. Le futur prévenu dans une affaire de terrorisme pourra invoquer, grâce à cet article, d’être jugé sur ses intentions et non sur le résultat de ses actes et pour sa défense il dira que l’idée de commettre un attentant ne l’avait jamais effleurée mais que c’est un concours de circonstances qui a fait qu’il ait été coffré pour des faits qu’on lui reproche.

– Il est écrit dans la même définition de l’organisation terroriste, ceci :  » Un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps« . Que signifie ce « un certain temps » ?

J’ai trouvé une définition. Il me semble qu’elle est la bonne. Elle appartient à Fernand Raynaud . La voici:


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* Oui ce sont bien les mêmes membres de l’Assemblée constituante qui siègent encore. Ils ont voté la constitution et maintenant ils votent des nouvelles lois, comme une véritable assemblée parlementaire. Ils votent également le budget de l’État avec de nouvelles lois qui se destinent à remplir la caisse de l’État. Si vous voyez un problème éthique de séparation obligatoire entre une assemblée qui trace les principes fondateurs de l’État et une assemblée, la même, qui codifie les règles de l’organisation du même État, c’est que vous ne comprenez rien à la révolution. Pour vous consoler, dites-vous que l’art du consensuel entre gens respectables vaut plus que toutes les règles que peuvent dégager toutes les assemblées réunis, imaginaires et imaginables. C’est bien cela une révolution !
** DCAF Tunis
14, rue Ibn Zohr
Cité Jardins – 1082
Tunis – Tunisie
 

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