Kalthoum Kannou, une magistrate à l’attaque des binationaux

Salah Ben Omrane   jeudi 11 août 2016  00:30

   3 Kalthoum KannouLa saison estivale touche à sa fin. Des Tunisiens binationaux arpentent le chemin du retour hors du territoire tunisien. Une vieille rengaine les accompagne et qui remonte à la surface, telle une puanteur qui sort des égouts, leur rappelant de ne pas oublier qu’ils ne sont pas des Tunisiens ordinaires: qu’ils sont des binationaux, que cela constitue une raison pour s’en méfier au point qu’ils devraient qu’ils soient tenus à l’écart des postes clefs dans l’exécutif.

  Première manifestation de la charge anti binationaux après le départ de Ben Ali, c’était le 8 décembre 2011 au cours d’une plénière à l’assemblée constituante lors du vote article après article du projet de la constitution portant sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics. l’Histoire de la Tunisie retiendra cette fracture entre Tunisiens lorsque 145 mains se sont levées sur 217 en approbation du texte suivant «Le président de la république doit être Tunisien, musulman, ne devant être titulaire d’aucune nationalité autre que Tunisienne, né de père et de mère de nationalité tunisienne et il doit être âgé d’au moins trente cinq ans

 La salve est partie, cette fois-ci, de la page Facebook de Kalthoum Kannou, magistrate, ex-présidente de l’Association des magistrats tunisiens (de 2011 à 2013) et candidate à la dernière élection présidentielle. Elle recommande au nouveau président du gouvernement tunisien «de déclarer publiquement le solde à la caisse nationale de l’État, la valeur des dettes publiques et en troisième lieu de n’attribuer aucun poste ministériel à un quelconque porteur d’une nationalité autre que tunisienne en précisant qu’il ne devrait en aucun cas qu’un porteur de la double nationalité occupe un poste ministériel tel que c’est exigé pour être président de la républiqueKalthoum Kannou écrit

 Pour mieux comprendre l’état de délabrement culturel ambiant dans lequel s’est englué le pays et donner les proportions à cette recommandation de méfiance à l’égard des binationaux, je propose plutôt une photo positive toute fraîche qui vient d’être prise au cours des jeux olympiques à Rio. Elle est celle d’un joueur de Foot brésilien Raï, ancien de l’équipe du PSG. Dans cette photo, il exhibe fièrement son passeport français que vient de lui remettre à Rio, personnellement, le ministre des sports de la République Française Patrick Kanner dans une atmosphère de joie.

RAI

 Dès maintenant Raï, s’il en a envie, il peut postuler pour devenir candidat à la présidence de la République Française. Ce sont les Français qui jugeront et personne d’autre s’il est élu ou non. Aucun autre Français ne pourra dire si Raï est moins ou plus français que lui. N’est elle pas belle la démocratie populaire lorsqu’elle est en pratique et non une théorie ? Seul le peuple est souverain pour décider si une personne est apte ou non pour la haute fonction de chef de l’État. On est loin de l’atmosphère lugubre de méfiance, d’animosité et de peur du possesseur d’une autre nationalité. On est plutôt dans un climat festif lorsque un Français est venu apporter dans la joie un document administratif, le passeport, le donnant à un brésilien au Brésil qui est aime son pays le Brésil et qu’à partir de cette date il a une seconde patrie d’adoption la France.

 Faisons un petit tour de rappel sur quelques binationaux bien connus. Il y a Arnold Schwarzenegger, qui est autrichien et américain. La reine Beatrix des Pays-Bas. Elle est néerlandaise et britannique. Benyamin Netanyahou. Il est américain et israélien. Íngrid Betancourt, une femme politique également. Elle est franco-colombienne. Elle était candidate à la présidentielle colombienne en 2002. Willy Brandt, était allemand et suédois. Léopold Sédar Senghor était franco-sénégalais. Albert Einstein, était suisse américain. Il y a également Eva Joly. Elle est franco-norvégienne .Elle était dans la course à la présidence de la République Française.

 D’où vient cette suspicion vis-à-vis de binationaux en Tunisie chez des hommes et femmes qui font de la politiques alors qu’à ce jour, l’histoire a démontré que ceux qui sont à craindre, qui ont mis la souveraineté de la Tunisie en péril, soit en recevant des « dons » de pays étrangers ou en emportant le pactole soutiré à la caisse de l’État pour vivre paisiblement et confortablement sous la protection d’un pays étranger, ne possèdent que l’unique nationalité tunisienne ?

 Ce qui est étonnant, est que la recommandation vient d’une magistrate qui en principe elle ne devrait regarder les dispositions pour former un gouvernement que par la lorgnette de la loi et seulement la loi, sans tomber dans les travers d’un racisme ou xénophobie  vis-à-vis de ses co-citoyens tunisiens. La nationalité n’est pas une religion, elle est un concept juridique qui lie le citoyen à l’État et non autrement. Rappelons qu’elle même, Kalthoum Kannou n’est pas plus tunisienne que les Tunisiens porteurs d’une seconde nationalité. Bienvenue au club international avec des idées populistes, intégristes, que l’extrême droite en Europe en raffole puisqu’elle  y adhère, s’y complait et s’y retrouve.

Curieux qu’une magistrate qui ne possède qu’une unique nationalité, qu’ au lieu de s’illustrer en attaquant la corruption et les corrompus, elle part en guerre contre les binationaux. Et ce n’est pas du tout curieux lorsque Eva Joly, à double nationalités, juge en France, elle n’avait pas peur de s’attaquer aux puissants ( affaires ELF, Bernard Tapie etc...) pour dire le droit. «Elle ne faisait que son travail tout simplement», on pourrait dire. Mais en réalité, n’y a-t-il pas un meilleur hommage qu’elle puisse rendre au second pays, sa seconde nationalité, en faisant correctement son travail ?  Faudrait-il installer exclusivement des binationaux dans les juridictions tunisiennes pour voir des Eva Joly poursuivre les corrompus et les corrupteurs au lieu de déblatérer sur les binationaux comme s’ils constitueraient une menace pour la Tunisie ?

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