Procès des « martyrs de la révolution »

Salah Ben Omrane  ,vendredi 09 mars 2012 à 11:20

  Depuis décembre dernier, dans trois juridictions militaires, à Tunis, au Kef et à Sfax, presque simultanément, à quelques jours d’intervalles, des magistrats sont passés du stade de l’instruction préparatoire et de l’enquête, au stade des auditions publiques devant une cour dans «L’affaire des martyrs de la révolution».

   Chacune de ces juridictions, est déjà au moins à son troisième renvoi de l’affaire dans ce volumineux et sensible dossier. La prochaine audience publique du tribunal militaire du Kef aura lieu le 12 mars 2012. Elle se déroulera à la même date que celui de Sfax qui examinera l’affaire du martyr Slim Hadhri.  Quant à la cour militaire de Tunis, elle se réunira le 21 mars de ce mois.

  Elle doivent toutes éclaircir les conditions dans lesquelles, il y a eu des morts et des blessés parmi les manifestants au cours du soulèvement populaire en Tunisie, durant la période qui s’étale du 17-12-2010  au 14-01-2011.

  Toutes avant de prononcer un jugement, doivent également examiner chaque dossier dont elles sont saisis, chaque cas des plaignants, chaque fait survenu ayant entrainé la mort ou eu pour conséquence une blessure mutilante ou infirmité qui nécessite une dépendance  à des soins médicaux qui sont parfois à vie.

  Le minimum des droits de chaque victime est d’avoir une tribune pour être entendue.

  Que la victime soit présente dans la salle ou qu’elle soit représentée par un membre de sa famille, en cas de décès , elles sont toutes de la partie civile dans la saga des procès.

Une justice équitable doit offrir à chacune des victimes tombées au cours des manifestations en question ,que la Tunisie a connues , avant que toute stèle honorifique de glorification ne soit érigée, le droit à la confrontation publique avec son bourreau ou l’assassin de son proche .

   En toute logique, les affaires des «martyrs de la révolution» sont toutes dépendantes du découpage organisé par la justice militaire qui les a répertoriées conformément à la compétence territoriale de chacune des juridictions citées, suivant le lieu et la localité de chaque fait examiné par la cour . Pour la juridiction de Tunis, il y a Tunis la capitale, Ariana, Ben Arouss, Manouba, Bizerte, Zagouan, Nabeul, Sousse, Monastir. Pour le Kef , il y a cette ville puis,  Thala, Kasserine, Kairouan ,Tajrouine, Siliana, Jendouba, Béja. Le tribunal militaire de Sfax est concerné par Sfax, Mehdia, Sidi Bouzid, Gafsa, Gabes, Tozeur, Mednine, Gbelli et Tataouine.

  Pour un procès de cette envergure, les juridictions militaires de Tunis et du Kef se distinguent par le nombre d’individus qui doivent être entendus et par la complexité de la procédure. Elles se distinguent également par le vide des comparutions au banc des accusés, où certains n’y seront pas. De nombreux témoins mis en cause dans ces procès, sont en fuite. Certains poursuivis sont cités à comparaitre dans plus qu’une juridiction. Parmi, il y a ceux qui sont sous un mandat de dépôt. Tel qu’on peut l’imaginer d’ores et déjà, par la partie de la défense, les absents endosseraient le rôle de donneurs d’ordres et leurs clients dans la salle, les soustraits aux maisons d’arrêt, le temps d’une présentation  à l’auditoire, seraient présentés en « simples exécutants ». Il y a peu de chance qu’on puisse entendre un des accusés derrière la barre, avouer un crime, tout en affirmant qu’il avait l’intention réelle de tuer un manifestant particulièrement le jour fatidique où cela s’était produit. Il ne dira pas non plus qu’il avait pointé son arme avec l’intention sérieuse de tuer. On entendra à répétition que c’était juste qu’il devait appliquer une consigne, dissuader les manifestants sans l’intention de donner la mort. Il dira évidemment que ce fût un accident , que le coup était parti involontairement, qu’il était là pour protéger un établissement public. Que lui-même a échappé à la mort. Que sans lui , il y aurait eu plus de morts. Que sans lui , Ben Ali serait encore là. Que sans lui , il n’y aurait jamais eu un nouveau gouvernement . On peut s’attendre déjà que certains des mis en cause , diront qu’ils ne sont pas à la bonne place . Que normalement , ils devraient être assis dans la rangée des victimes et martyrs de la révolution .


  Chacune des juridictions militaires de ces deux villes, a aménagé des tentes pour accueillir le public avec un écran par lequel, figurent les familles des victimes. Comme à la télé! Elles écouteront et verront certains témoignages sur un écran géant sous la tente. La cour sera privée d’entendre leurs soupirs ainsi que de lire l’effet des témoignages sur leurs visages. La cour sera privée de sentir les odeurs de leurs transpirations. La cour sera aseptisée d’un contact direct avec les familles des victimes. Elles se tiendront assisses sagement avec un portrait encadré de leur défunt, mort pour la patrie . Une organisation telle, c’est oublier qu’un verdict est le résultat d’un long processus d’échanges et d’émotions qui circulent dans une confrontation de toutes les parties et pas uniquement des avocats qui les représentent. Chaque cour devra accueillir un certain nombre de témoins ,d’experts , de parties civiles, de mis en examen, sans compter les interventions de leurs avocats conseils respectifs et du procureur de la république. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’il y ait des renvois d’audiences successifs.  

   En toute logique tout procès n’arrive au stade de l’audience publique qu’après le bouclage du plus gros de l’enquête par le substitut du procureur de la république. Que le dossier ne passe entre les mains des juges du siège qu’une fois, les principaux fondements griefs sur lesquels les chefs d’accusation sont approximativement fondés. Si l’affaire est en examen et à ce stade ,c’est qu’il y a pas eu un non-lieu de prononcé. Cela signifie également, qu’il y a au moins une charge qui justifierait la poursuite d’au moins un des accusés. La constitution du dossier est fondamentale pour le déroulement du procès. Elle demande un temps suffisant utile et raisonnable pour des affaires qui nécessitent que des témoignages soient versés aux dossiers , qu’ils soient adjoints par des enquêtes et que les recoupements se fassent pour une présentation soutenue devant les jurés. La raison pour laquelle, le délai entre les faits incriminés et la date fixée pour ces procès, qui n’est que d’un an presque dans les affaires citées, me parait assez court. Le ministère public a-t-il tous les éléments de preuves que les mis en cause et qui sont en fuite, que les procédures que l’État est supposé avoir menées jusqu’au bout, ont toutes étaient menées jusqu’au dernier recours ? Au Kef et à Tunis , verra-t-on les documents échangées entre les autorités Tunisiennes et les autorités de l’Arabie Saoudite ou seront-ils classés « secret défense » ?

  Qui serait contre qu’on en finesse au plus vite avec les affaires des martyrs ? Personne ! Mais la volonté de faire droit à des revendications des martyrs sans tarder , que personne ne doute qu’elles sont parfaitement légitimes, ne peut en aucun donner lieu à des procès qui escamotent des zones indispensables à faire connaitre , aussi bien pour les victimes, leurs familles, pour les accusés que pour le public.  La vérité sur l’Histoire de la Tunisie est intimement liée aux vérités dans ces procès.  Y a-t-il eu une influence de cette fameuse « opinion publique » qui n’a pas cessé de réclamer que des têtes tombent ? Espérons que ce ne soit  pas le cas. Or, lorsqu’on voit report sur report de ces procès et qu’on soit à peu près certain qu’ils ne connaitront pas de si tôt un déroulement en continu, cette discontinuité est nuisible pour la sérénité des débats. Indubitablement tout procès a besoin d’un rythme soutenu en continuité et non en intermittence dans une cour, telle une lampe qui s’éclaire et qui s’éteint intempestivement et empêche toute concentration sur l’objet recherché qu’est juste la vérité. Entre la lenteur ou  la précipitation ou l’intermittence, il y a certainement une voie . Elle est celle du respect des victimes sans perdre de vue le respect des droits des accusés.

  En attendant , l’État doit se préoccuper des blessés . Il doit leur offrir une couverture et une prise en charge totale des frais avec des soins appropriés dans des hôpitaux avec des services et un équipement convenable tel que celui qu’on trouve dans des unités médicales du genre l’hôpital militaire.   

  En second lieu ,que les pouvoirs publics , principalement les autorités de l’exécutif veillent à ce que toute personne qui figure  dans ses rangs, qu’elle soit en fonction, qu’elle ait été mise à l’écart, ou qu’elle soit en fuite ,contre qui il existe un mandat de comparution, soit mise à la disposition de la justice et par la contrainte de la force publique. 

   Des agents en fonction, au nom de la République Tunisienne leur ont tiré dessus . La responsabilité de l’État, a ainsi été engagée. C’est au nom de la même République Tunisienne que tous ces martyrs morts ou blessés doivent retrouver leur honneur et leur dignité. Pour ce faire, pas de crainte, on ne dira jamais que l’État s’est précipité.


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