Paroles troublantes du président Moncef Marzouki

Salah Ben Omrane  03 avril 2013  11:14

    C’est une traduction du discours de Président Moncef marzouki, à partir de la vidéo qui suit (10 minutes environ). Elle rend compte de son intervention orale à Munich devant un parterre rassemblant une majorité de Tunisiens en Allemagne, vendredi 22 mars 2013. Une intervention faite après le chant de l’hymne national. Elle est enregistrée tel qu’elle apparaît sur le site de la Présidence de la République. La traduction est sans le « nettoyage » des hésitations du locuteur quand il cherche ses mots et sans la soustraction de quelques unes de ses  répétitions, qui peuvent être perçues comme des tics de langage, tels: « c’est à dire » ou « et cetera ».

Ces hésitations et ces « tics de langage » font partie du dispositif langagier dans la construction de la totalité de son  discours à Munich. Le tout porte et fait partie du sens de l’intervention. Le fait de parler de Chokri Belaïd, de lui consacrer une partie non négligeable dans son intervention, avec « la prouesse » de ne pas citer son nom, à aucun moment, fait également partie de la rhétorique de son discours présidentiel. Chacun peut discourir et chacun choisit ses défis et dans une certaine mesure ses fantômes: Comment parler de Chokri Belaïd sans parler de Chokri Belaïd ?

 

Traduction du discours  et les commentaires

 « Il faut que vous compreniez quelque chose! Ceci est une société qui a deux parties: une partie moderniste et une partie is…, c’est à dire, une partie conservatrice. Comment cette partie conservatrice va imposer sa présence sur la société sauf que par la violence. Sauf par une autre façon de violence, car l’autre partie ne va pas se cacher. Elle ne va pas lui dire: « je m’excuse je déserte et je te laisse à toi toute la Tunisie moderniste ». Ou le contraire du contraire, Elle va lui dire: «Prière de m’excuser, je déguerpie et je te laisse toute la Tunisie, toute en en Islam pour toi, débrouilles toi et fais des prières autant que tu voudras». Il restera en Tunisie ces deux sortes. C’est pour cela qu’il faut qu’on cohabite ensemble. On n’a pas un autre choix. C’est pour cette raison que la coalition du gouvernement de cette Troïka , c’est elle, c’est  à dire,  qui laisse ce pays capable de vivre les uns avec les autres. »

 Commentaire:

Le choix de la désignation « Conservateurs » l’a emporté sur les « is… » . Est-ce une vision euphémique des « is… » ou est-ce le signe d’un changement politique stratégique de leur part, soufflé au président ?

Quant à la Tunisie, illustrée comme étant la proie d’un tiraillement, d’une chasse, qui oppose, face à face, des modernistes à des « is…conservateurs » (sic), cela demande une vérification. Plus précisément , cela manque d’arguments qui donnent pour preuve que des prétendus «modernistes» sont en train de faire la guerre à des fantomatiques « Conservateurs ».

C’est une représentation manichéenne qui a pour défaut de confondre les délinquants et les criminels qui sèment la terreur dans le pays à des porteurs d’idées avec un projet sociétal conservateur.  N’est il pas encourageant pour ces criminels , quand le charisme politique se juge non pas sur les idées constructives d’un individu mais sur le nombre d’années qu’il a passé en prison ou sur sa capacité de nuisance à l’ordre public sous les régimes de Bourguiba ou de Ben Ali ?

« Cette Troïka est ouverte. Dans les dernières discussions quand on a voulu former un gouvernement : « je vous en prie ! Allez-y !Venez ! Contribuez ! Participez ! Il ne s’agit pas d’une chose fermée. Nous on ne ferme , on n’exclue que celui qui s’exclut de lui-même. C’est cette philosophie que vous devez comprendre. Le monde entier, c’est dire, surveille cette expérience insolite dans son genre et qui doit réussir. Car le contraire de cela , c’est l’affrontement entre Tunisiens et il peut leur coûter cher. Car s’il y a un conflit politique, il n’y a ni de stabilité ni de progrès, ni d’économie. Des paroles vides . C’est à dire l’opération qui se déroule aujourd’hui, capable de garantir l’accord national, c’est elle qui permettra que tout soit possible c’est à dire le progrès l’économie et cetera.

  Donc je vous rassure que l’expérience Troïka fonctionne. Je vous rassure que le dialogue politique n’est jamais fini. Notre pays se distingue par cette qualité. Il faut vous sachiez que chaque vendredi au début de chaque mois, j’ai un dîner rassemblement auquel se présentent tous les hommes  des partis. Certains insultent à la sortie , mais ce n’est pas un problème. L’essentiel est qu’ils viennent et on discute. Ceci est une expérience insolite.

 Donc le dialogue est en marche. L’écriture de la constitution est en marche. La Troïka, puisque l’opposition a dit: On veut que les ministères régaliens soient neutres, pour qu’on soit sûr que les élections soient libres et à la régulière. On leur a donné cela. De toutes manière, il y aurait eu des élections libres et régulières  même sans cette neutralité. »

 Commentaire:

Comment peut-on compter sur le poids d’un président pour le dialogue à une échelle nationale alors que le même président en a été écarté par ses propres pairs lorsqu’il était question d’extrader ou non Mahmoudi Baghdadi vers la Libye?

Un président à qui on a soustrait son pouvoir décisionnel dans cette extradition , déjà que le champ de son intervention dans la sphère publique a été réduit à une peau de chagrin, qu’a-t-il fait pour remettre de l’ordre?

Qu’il n’intervienne pas publiquement sur les affaires qui préoccupent les Tunisiens et qui font débat dans les rues, soit! Il y a eu l’occupation d’une faculté par des salafistes durant des mois, une lourde peine de 7 ans de prison pour deux jeunes qui ont fait circuler une photo du prophète sur un réseau social ou le viol d’une fillette de 3 ans dans une crèche par un agent qui travaille dans la même crèche. Il n’est  pas intervenu, non plus, les 21 et 22 janvier dernier, lorsqu’il était en Arabie Saoudite en faveur de la justice tunisienne qui avait pourtant lancé une demande d’extradition de l’ex président Ben Ali ainsi que de ses biens, alors qu’il était à quelques kilomètres de sa demeure et qu’il était dans le pays de ceux qui lui ont offert l’hospitalité !

Si « l‘expérience Troïka réussit »  comme il ne cesse de le répéter, elle semble réussir aux pilleurs de la Tunisie et elle leur garantit protection et sécurité durant leur fuite.

 « La machine économique est en train de revenir. Elle tourne. Tout doucement. L’autre jour, c’est à dire aujourd’hui, on sait tous qu’il manquait deux pour cent , aujourd’hui , on est devenu trois virgule cinq. En haut! Le Gouverneur de la banque centrale me disait si la stabilité revient, si on termine cette tâche de la période transitionnelle, on finit la constitution et qu’on ait un État pour cinq ans, c’est à dire un gouvernement pour cinq ans et cetera, la valeur du progrès en Tunisie c’est à dire l’indice de croissance va être de cinq à 6 pour cent. C’est à dire, notre pays est disponible pour tous les moyens du progrès. »

 Commentaire:

Des chiffres et des pourcentages lancés à un auditoire qui doivent chauffer les oreilles des économistes si ce n’est les faire renoncer à poursuivre leurs carrières. Une question s’impose: La croissance? Elle sert à quoi?

L’autre question cruciale que le président lui même a indirectement soulevée : Quel est le véritable rôle du Gouverneur de la banque centrale? Les finances et l’économie ce n’est pas le même terrain et n’en parlons pas quand la finance joue à proximité des institutions politiques.

 « Je vous rassure aussi sur nos relations extérieures et là j’en viens à nos relations avec l’Allemagne, nous sommes, peut-être ,le seul pays qui a de bonnes relations avec tous les pays du monde. Ceci est pour nous est un acquis.  C’est à dire on n’a pas de quoi avoir peur. Ni de nos frères aux frontières , nos relations sont très bonnes : les algériens et les libyens. Avec l’Europe et l’Amérique, tous les pays veulent aujourd’hui la réussite de l’expérience tunisiennes.

 Là j’arrive à la spécificité de notre relation avec l’Allemagne. Les relations avec l’Allemagne se distinguent avec une qualité, c’est à dire vraiment incroyable. Car , depuis le début, les Allemands ont voulu que cette révolution réussisse. Et vous savez que les Allemands n’ont pas de visées ou des cachotteries ni de gages. Ainsi tout ce qui vient de chez eux est en vérité provient de l’amitié et de leur conscience que l’intérêt du monde, l’intérêt de l’Europe surtout, est qu’il existe des systèmes démocratiques, car les systèmes démocratiques sont ceux qui ne font pas la guerre pas et par conséquence, ce sont les systèmes qui garantissent au mieux du possible la sécurité. Des relations diplomatiques qui étaient remarquables et elles sont devenues plus remarquables par ce voyage. C’est à dire soit avec la Chancelière Angela Merkel ou avec le président du Land de Bavière. Tous soutiennent la même chose : Nous sommes avec la révolution tunisienne. Nous allons la renforcer. Nous sommes avec l’expérience démocratique. Et la traduction politique en affaires économiques et sociales est ce que nous avons vu hier, c’est à dire la signature de cet acte, c’est à dire entre les hommes d ‘affaires tunisiens et les hommes d’affaires allemands . Aujourd’hui , toutes les possibilités d’entraide d’investissement et de la , c’est à dire, la consolidation financière , technique pour l’économie tunisienne , sont existantes. Je pense que pour l’avenir l’Allemagne va jouer un rôle très important pour la réussite de notre expérience démocratique, c’est à dire, à travers la réussite de tous les projets économiques.

 C’est ce que je voulais vous dire. Je vous rassure sur la situation en Tunisie. Durant ces derniers mois, j’ai vécu des nuits très difficiles. Je me souviens quand, c’est à dire en mai, au début, le 9 avril, l’année dernière 2012. L’opposition a dit on va brûler le pays en début mai et le régime est fini. Ce fût une fête fraternelle, sans égal, en début mai 2012. Après , ils ont dit: « C’est fini la légitimité le 23 octobre et le 24 octobre! Troubles et l’armée ». Il n’y a eu ni troubles ni armée. Mais au contraire, après le 23 octobre , il y a eu le 24 octobre, c’est tout ! C’est le seul événement. Vous me comprenez ! Et le sujet est terminé. Après on a vu la tragédie, c’est à dire, de l’Ambassade américaine, le 14 septembre , et on avait peur qu’il y ait des troubles dans tous les coins du pays et des manifestation et cetera. Les manifestations sont restées dans un périmètre d’un kilomètre carré , c’est à dire autour de l’ambassade américaine.  Et le peuple tunisien a vu cela avec circonspection et rien ne s’est passé. Après on nous a dit, après l’assassinat du martyr, qu’il ait la miséricorde de Dieu, c’était un homme qui était, c’est à dire que j’avais vu plus d’une fois , je l’ai invité au Palais et je le considère comme l’un des chefs politiques avec qui il y a eu une longue discussion sur toutes les affaires, et le crime de son assassinat était mesquin avec tous les sens du mot et le but de ce crime était de semer la zizanie et le trouble .Et je ne vous cache pas, la veille du 7, je rentrais de Strasbourg le  6, j’ai interrompu ma visite au Sommet du Caire. Le 6 était un jour difficile. Le 7 était un jour très difficile. La veille du 7 était une nuit atroce, car on avait peur que le 8 allait y avoir des manifestations, des tueries, si Dieu en décidait, et il n’y a pas eu. Rien!  Aucune personne n’a été tuée ni blessée. »

 Commentaire:

Ne pas prononcer le nom de Chokri Belaïd  est en soi une prouesse rhétorique.

Il y a l’usage de la formulation « assassinat du martyr ». Il est à remarquer que Chokri Belaïd est devenu martyr après son assassinat et non avant son mort. Son second assassinat ne peut que correspondre au fait que l’enquête piétine au sujet du crime.

 « Tout cela  sont des signes qui indiquent que notre peuple est un peuple fort, ferme et solide.Tout cela sont des signes qui signifient que ce pays est fort. Il est fort avec son armée qui a refusé, c’est à dire qui a traité avec tout le mépris ces bruyants qui disaient: « trouble ensuite l’armée » C’est à dire une armée républicaine , c’est à dire qui obéit aux ordres de l’autorité politique. Une armée qui est attachée à la légitimité.  Ensuite on a une sécurité républicaine qui travaille pour posséder, c’est à dire, tout ce qui l’a dépassé avant pour œuvrer pour la Tunisie et pour un régime démocratique et non pour travailler pour une personne, comme c’était avant pour travailler pour une personne ou pour une famille. Aujourd’hui il est au service d’un régime démocratique et au service de la Tunisie. Il est au service de la République et non au service d’individus ou des familles. Il est maintenant une partie indissociable de cette fondation solide.

 La classe politique a montré , malgré tout, qu’elle est mature. Le dialogue tout le temps. La Troïka a montré aussi qu’elle n’a pas éclaté, contrairement à ce qui s’écrivait dans la presse: « Il lui reste deux jours et elle sera finie . Elle est en train de rendre l’âme ». Ce sont eux qui ont rendu l’âme, la Troïka n’a pas rendu l’âme. (applaudissement) Vous comprenez. »

 Commentaire:

De quelle presse parle le Président ? Si tout ce qui se publie sur Facebook et de façon anonyme c’est de « la presse », il trouvera toujours un interlocuteur qui exprimera ce qu’il a envie de reprendre et à l’infini. Le danger de cette stratégie, est que le langage facebookard l’emporte et sort victorieux . Qu’un président de la république se mette à employer des expressions empreintes d’une certaine violence jouissive à voir la mort devant un public qui applaudit , c’est inquiétant !  

 « Donc c’est un pays fixe. Un  pays fixe sur… Les gens qui ont appelé à l‘insoumission à la république et qui ont appelé l’armée et au désordre, ce sont ces gens là que je vise, si vous voulez, ces gens là. Celui qui s’adresse à l’armée en demandant l’insoumission et celui qui incite, c’est à dire, pour casser l’État, casser les os de l’État, celui qui refuse la légitimité des élections, celui qui refuse la légitimité du peuple, j’ai le droit de dire à son propos les paroles les plus dures, car ces gens là se dirigent vers la mort de la Tunisie. La Tunisie a besoin de stabilité. La Tunisie a besoin aujourd’hui de celui qui renforce sa tranquillité.(applaudissement) »

 Commentaire:

L’expression « casser les os de l’État » est une expression d’une extrême violence . Une image morbide qui pose réellement le problème de la représentation des enjeux politiques dans l’imaginaire du président Moncef Marzouki.

 « Besoin de celui insuffle en son sein une âme qui rassure. Besoin de celui qui pousse en elle l’âme de l’espoir. C’est à dire , quand je lis parfois les journaux , quelques journaux, c’est à dire, ils nous décrivent la Tunisie avec une image affligeante. Ce peuple a besoin aujourd’hui d’une chose: Celui qui insuffle en lui l’âme de l’espoir et l’âme de la tranquillité. Tous on doit insuffler l’âme de la tranquillité dans ce peuple. Car, véritablement, il y a tout ce qui pousse vers l’âme de la tranquillité et on doit pousser en lui l’âme de l’espoir.

 Pratiquement, on a toutes les cartes, si Dieu le veut, pour sortir notre pays de cette épreuve. C’est notre pays à tous. Même ceux qui font des troubles, c’est leur pays. Eux, ils ne sont pas conscients.

 Mais si ce bateau chavire, il va chavirer avec tout le monde. Il ne va pas chavirer avec la Troïka seulement ou autre. Il y a des gens qui s’imaginaient que lorsque le bateau allait se casser en deux, il y a la partie où il y a la Troïka allait chavirer et l’autre non. Non tout va chavirer ! Et nous aujourd’hui nous défendons le droit de tous les Tunisiens pour qui vivent en même temps et ensembles dans la paix et la fraternité. Arrêtez l’agressivité ! Arrêtez la détestation ! Arrêtez l’aversion .Ces paroles de la haine .Car, c’est ce qui a tué le martyr.

 Voyez vous, ces paroles  qu’on entend aujourd’hui, agressives, en colère, haineuses, dédaigneuses, c’est qui a enfanté la violence physique. »

 Commentaire:

 Après que lui –même a employé des images d’une extrême violence en représentant les enjeux politiques en Tunisie, il réclame la cessation de la violence.

La sincérité est-elle dans ses représentations de ceux qui « rendent l’âme » et des « os cassés » ou du côté de son appel à l’arrêt des paroles haineuses ?  

 « Assez de violence verbale ! Assez d’agressivité ! Doucement , venez nous en parlons. Calmez vous un peu ! Qu’est ce que c’est que qu’après deux mots, que l’armée descente, qu’on va brûler le pays. Jusqu’à quand ? Il y a une responsabilité devant la Tunisie.

 « Donc , en tous les cas , moi je vous rassure que la majorité absolue du peuple tunisien aujourd’hui est calme et aime le calme et aime la tranquillité et aime qu’on poursuive, qu’on y arrive et on va y arriver de même.

 Moi je vous ai tranquillisé sur la situation en Tunisie et sur l’état des relations. Rassurez moi sur votre situation et je vous remercie. »

 Fin du discours

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