Zied El Hani, l’homme qui marche sur les oeufs disséminés de la dictature

Salah Ben Omrane  15 septembre 2013  19:00

  Le journaliste tunisien Zied El Hani a été placé en détention vendredi 13 septembre 2013, alors qu’il venait de répondre par sa présence à l’invitation qui lui a été adressée par le Bureau de l’administration générale de la sécurité publique de Carthage Byrsa, dépendant du ministère de l’intérieur.

  Il n’a pas été entendu sur les faits, motif devant être à l’initiative de son invitation et à laquelle, il n’a pas tenté de se dérober, ni argué un quelconque prétexte-refuge pour s’y soustraire. Il s’est présenté aux Officiers de la police judiciaire, il n’est pas un dégonflé, chose qui ne facilite pas la tâche dans ce qui semble se formenter en projet de lui faire endosser un rôle inadéquat à sa personnalité ni adapté à son cas au risque de compliquer les opérations et le projet de nuisance à son encontre.

 Il a eu la surprise de découvrir qu’un juge d’instruction venait de signer l’ordonnance de son placement en détention. Ceci a rendu nul l’objet de l’invitation qui devait être une instruction, car il est convenu dans toutes les juridictions normalement constituées, seulement, et seulement à l’issue de cette partie de l’enquête, et dans le respect de cette étape de la procédure, dans sa clôture, toute décision pourrait être prise, sans exclure bien-entendu l’éventualité d’une mise en examen, voire le cas échéant, et si nécessaire, du placement en détention.

 Le mandat a été exécuté dans l’immédiat et le journaliste a vite été transféré dans un centre de détention.

De toute évidence, la surprise revêt le caractère d’un « piège ». Car, lorsqu’il y a une ordonnance de mise en détention d’un individu, la Force publique se déplace pour aller récupérer le colis qui lui est dû, a fortiori lorsqu’il est question de cueillir les récalcitrants claustrophobes.

Ainsi va sans dire, il est le sort qu’on réserve aux grands bandits et criminels, contre lesquels un  mandat de détention circule déjà, qui se font pincer au cours d’une cavale. Avant leur présentation devant tout officier judiciaire ou un magistrat instructeur, il leur est souvent signifié le droit au choix unique du privilège de l’enfermement dans l’immédiat, au détriment du bavardage et de l’échange sur les théories qui font avancer le monde, entre convives. C’est ainsi qu’on laisse à l’administration publique le temps de sortir des placards ses dossiers , les peaufiner, si nécessaire faire ses courses, acheter des cacahuètes, et organiser les préparatifs nécessaires dignes et à la hauteur de la rencontre de l’invité surprise, tombé du ciel. Pendant ce temps là, pendant que la Mloukhia mijote,  le détenu a tout son temps de ramollir ses muscles Bagri, de zébrer sa véhémence et son caquet dans l’emballage à bronzette aux ions du néon et à barreaux.

  Tard dans l’après midi, la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Tunis a émis un Arrêt ordonnant sa libération, en échange d’une caution de deux mille dinars, à verser à la  trésorerie générale. Or, l’exécution de  cette dernière décision de justice, ne pourra pas être effective, avant lundi prochain. Elle est tributaire des établissements publics susceptibles d’encaisser le montant  de la caution et qui n’ouvrent pas avant lundi.

 Pour que la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Tunis réagisse dans la journée même de l’ordonnance du dépôt de l’intéressé, l’évènement suffit à lui-même pour réaliser l’envergure de la cause de Zied En Hani. La température est montée très haut, chez les journalistes, chez les magistrats, chez les politiques et dans la rue. Elle n’est plus une affaire personnelle, tel que certains voudraient qu’elle le soit et qu’elle reste, en isolant le journaliste poursuivi mais pas traqué. De surcroît, tout Tunisien parvient à l’identifier et saisit le sens de la violence de la vengeance dans la disproportionnalité de la réponse judiciaire. C’est même l’effet inverse à la recherche de la paix civile et au maintien de l’ordre public qui vient de se produire. Il ne fait plus de doute que Zied El Hani est devenu  la victime de sa dénonciation du trouble à l’ordre public et que ce trouble se localise, sans le moindre doute, dans le jaune de l’oeuf de l’administration publique.

  Chacun a bien saisi les tenants et aboutissants de l’itinéraire qui a conduit Zied El Hani vers la cellule de l’enferment, qui subit la vengeance d’un dispositif au sein de l’administration publique, qui a la puissance de nuire, le pouvoir de mettre en prison n’importe quel individu qui s’attaque à un rouage de cette machine. Voir des individus, des agents de l’État, faire un usage personnel des moyens et des instruments de l’administration publique, n’est pas inhabituel aux yeux d’un Tunisien. Même si ce type de détournement des moyens de l’État est l’essence de l’exaspération du peuple quand il s’est soulevé  en décembre 2010, il n’empêche que cette tradition refuse de plier ses bagages et de s’exiler ailleurs.

  La Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Tunis, par son Arrêt, a coupé la poire en deux. Si elle exige la libération du journaliste en contentant une partie, elle ne remet pas en cause le bien-fondé du mandat de placement en détention, puisqu’elle rend sa libération tributaire du paiement d’une caution de deux mille dinars ( 1000 euros).

 Rappel des faits jusqu’au jour de cette convocation :

1)   le 16 août dernier, le ministre tunisien de la culture Mehdi Mabrouk  était dans une cérémonie en hommage à un comédien disparu.

2)  Nasreddine Shili, jeune cinéaste tunisien,  a lancé un oeuf sur le ministre

3) Un caméraman, Mourad Mehrzi, d’une chaîne d’information « Astrolabe Tv » a enregistré la scène avant de la diffuser publiquement.

 4)   Le ministre de la culture s’est plaint d’avoir été agressé verbalement et physiquement par Nasreddine Shili.

 5)  Sur les images filmées, on voit que c’est plutôt Nasreddine Shili qui a été rattrapé par l’entourage du ministre, après son méfait, et recevoir quelques coups, ce qui relativise la version des faits narrée par le ministre de la culture.

 6)  Quelques jours plus tard, le lanceur de l’ovale  ainsi que celui qui rendu célèbre l’évènement par le moyen de sa caméra, ont été appréhendés, interrogés puis mis en cellule.

7)  La thèse de la connivence et de la préméditation entre le cinéaste, lanceur de l’oeuf et le journaliste caméraman captant l’évènement, a buté sur des difficultés pour qu’elle soit crédible dans sa présentation au public. Ceci n’a pas empêché que les deux , entre temps, croupissent en prison dans l’attente de leur jugement.

 8) À l’extérieur une mobilisation s’est constituée pour faire cesser « la farce », libérer les deux détenus et redonner à l’évènement la dimension qu’il mérite d’autant que le contexte ambiant et explosif dans le pays ne peut supporter davantage de comportements ridicules.

 9) Le 5 septembre  dernier, le tribunal de première instance de Tunis a statué le maintien en détention de Nasreddine Shili et la libération de Mourad Meherzi, le cameraman d’AstrolabeTV, à l’issue de leur audience.

 10) l »Agence Tunis Afrique Presse (TAP) a diffusé une communication qui émane de la même juridiction invoquant que les deux concernés, reconnaissent la complicité dans les faits qui leur sont attribués.(photocopie en bas)

11) Zied El Hani intervient à la suite de ce dernier communiqué en écrivant ceci :

هذه هي الوثائق التي تظهر قيام وكيل الجمهورية لدى المحكمة الابتدائية بتونس بمغالطة الرأي العام جيث تمثل الوفيقة الأولى بلاغا للعموم نشرته وكالة تونس إفرقيا للأنباء يوم 23 أوت 2013 ذكر فيه أن المصور الصحفي الشاب مراد المحرزي تم إيداعه السجن بعد اعترافه بالمشاركة في مؤامرة ضد وزير الثقافة. في حين تظهر الوثيقة الثانية وهي محضر استنطاق مراد المحرزي أنه لم يعترف بشيء بل رفض حتى التوقيع على المحضر.
هناك جريمة احتجاز شخص دون مودب قانوني التي تعاقب عيها المجلة الجزائية بعشر سنوات سجنا. وأعلمكم أنه تم اليوم تقديم شكاية لتتبع وكيل الجمهورية وكل من يثبت تورطه أو تواطؤه في جريمة الاحتجاز غير القانوني للزميل مراد المحرزي

En résumé:  » Voici les documents avec lesquels le Procureur de la république près du tribunal d’Instance de Tunis induit en erreur l’opinion publique, que l’Agence Tunis Afrique Presse (TAP) a publiés le 23 août 2013″. Il ajoute : « Non seulement, Mourad Mehrzi n’a reconnu rien du tout , mais en plus, il n’a même pas signé le Pv. » Il poursuit : « Il s’agit d’un crime de détention d’une personne sans un fondement juridique, pour lequel le Code pénal a prévu dix ans d’emprisonnement. Je vous informe qu’aujourd’hui une plainte a été déposée qui vise à poursuivre le Procureur de la république et toute personne impliquée dans ce crime de détention… »

Le communiqué :

communiqué de l'AFP  Zied El Hani publie la copie du P.v. d’audition du caméraman Mourad Mehrzi, . La preuve que ce dernier a refusé la reconnaissance des faits, contrairement au communiqué du ministère de la justice. Ce rectificatif lui a attiré la foudre du magistrat chargé de l’affaire de « l’oeuf ».  La révélation par document à l’appui et mise au point du journaliste, ont fait voler en éclats le « bien-fondé » de la mise en détention du caméraman, devant l’opinion publique et devant les journalistes qui se sont mobilisés en réclamant sa libération.  la bonne et séculaire communication judiciaire truffée de mensonges s’est trouvée à nu.

    Il est facile d’en déduire que la publication du rectificatif par le journaliste, discrédite la version officielle, mise en avant par le ministère de la justice et qui tendrait à justifier l’enferment du caméraman pour sa soi-disant complicité avec le lanceur de l’oeuf. 

   Il n’est pas surprenant pour les Tunisiens de constater le grand décalage entre la version dans les faits, que produisent généralement la communication officielle des ministères concernés, particulièrement celui de la justice et la version des concernés directement par ces faits. Rappelons nous l’affaire de la jeune fille violée par des policiers et l’affaire des artistes d’El Abdellia voire de l’enfant violée par le gardien d’une garderie « crèche »,  qui ont eu lieu au cours de l’année dernière. Souvenons nous comment la communication  officielle fonctionnait, comment les victimes deviennent des responsables à poursuivre pénalement, et dans le cas de l’enfant violée, comment l’entourage familial a été mis à l’index. Souvenons nous , comme ces versions officielles s’écrasent, se font désavouer grâce à « la pression » et au travail acharné des journalistes, sans jamais entendre les agents de l’État, qui avaient communiqué sur ces faits s’excuser après avoir répandu des contre-vérités et des mensonges.

    Zied El Hani, en journaliste, a tenu à faire rétablir la vérité sur une partie de l’enchainement d’une affaire, qui dans un pays démocratique n’aurait pas eu la signifiance médiatique qu’elle a eu, s’agissant d’un oeuf lancé sur une personnalité publique qu’est un ministre de la culture. Sauf que dans un pays où l’affront aux représentants de l’autorité de l’État se paye, historiquement, en toute disproportionnalité à l’acte ou au geste de l’affront, les fonctionnaire de l’État sont souvent les premiers à mettre les pieds dans l’étrier de la démesure. Il est arrivé que cette fois-ci , le journaliste n’a rien dit autrement que :Stop , là c’est du mensonge!

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