Salah Ben Omrane 19 novembre 2013 14:20
Les magistrats tunisiens s’inquiètent pour leur avenir à cause de l’absence de revalorisation de leur statut dans l’actuel projet de la constitution qui est en cours de rédaction.
Ils réclament l’indépendance des juges, une répartition équitable de la carte géographique judiciaire, proportionnellement à la véritable situation démographique, de manière à ce que cette mise à jour puisse répondre aux besoins de justice de la population, de façon équitable, dans chaque coin de la Tunisie. Ils demandent aux pouvoirs publics d’assumer leurs responsabilités afin qu’ils puissent exercer leurs professions dans des conditions sécurisées, dans des locaux qui répondent aux conditions d’hygiène et de propreté, en toute dignité, bref un cadre de travail convenable moralement et décent matériellement.
En toute urgence, ils veulent que leur avis soit pris en compte concernant les règles et procédures d’éligibilité et de formation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Pour ce faire, ils ont fait part de leurs doléances, par le moyen associatif et syndical, aux premiers concernés:les rédacteurs de la constitution. Ils ne comptent pas se contenter d’entendre que leurs requêtes ont bien été entendues pour qu’ensuite les voir s’évaporer sous la coupole.
Les magistrats tunisiens ne sont pas à leur première tentative d’émancipation. Sous le régime Ben Ali, ils se sont déjà élevés contre le verrouillage des voies qui devaient leur permettre de s’exprimer librement sur leurs conditions de travail ou de gravir en toute transparence les promotions auxquelles ils y ont droit. La force politique dominante au pouvoir y a toujours fait front. Comme on pouvait s’y attendre, les sanctions contre les « fortes têtes » tombaient. Cette méthode dissuasive à la prise de parole chez les magistrats, s’ajoute au butoir, l’obstacle endogène qu’est la méthode courante du noyautage des mouvements et organisations qui regroupent les magistrats. Souvent les protestations, sont tuées dans l’oeuf, avant qu’elles ne prennent formes et proportions.
C’est une erreur de considérer que ces préoccupations sont propres au milieu de la magistrature. Elles sont traduisibles en version tout public, de la manière suivante : Voulons-nous véritablement des magistrats indépendants, à l’abri des tentations, des intimidations et des pressions politiques ? Sommes nous prêts à intégrer dans nos tribunaux, dans nos cours, les principes élémentaires d’une justice saine sur lesquels reposent des juridictions respectables dans le monde qui garantissent les droits de chacun à défendre sa cause dans des procès équitables ?
En ce moment précis, la justice est en danger, précisément durant cette période transitionnelle où il se trouve qu’elle est le plus sollicitée. Elle est appelée à réagir. On vient frapper à sa porte, non pas avec le noble espoir d’écouter un verdict qui affirme le droit des uns et le tort des autres, ou entendre le prononcé de la loi qui éclaire un litige opposent des gens « ordinaires » dans une société en paix avec elle même, mais plutôt pour réveiller le monstre. Cette justice monstrueuse, instrument de la répression. Ce fusil auquel le Tunisien s’y est habitué au temps de Bourguiba et Ben Ali et semble ne pas savoir ni pouvoir s’en passer. C’est dans ce contexte, quand des magistrats cèdent aux ordres, une majorité lève la tête et demande la cessation de la dépendance de leur administration de ceux qui occupent le pouvoir exécutif. Pas besoin de regarder les choses avec une loupe pour se remettre à l’évidence qu’il y a de la continuité dans la pratique judiciaire condamnable. Elle est cette justice traditionnelle qui terrorise les citoyens ordinaires et dont une majorité de magistrats n’en veut plus et refuse de collaborer pour perpétuer sa tradition.
Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il figure le suivant article 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution« . Plus de deux siècles auparavant, en 1789 , date de la rédaction de cette déclaration, on avait compris la nécessité de séparer les pouvoirs pour préserver la république. En Tunisie , en 2013, on s’applique pour que la justice soit dépendante du pouvoir exécutif. Il faut rappeler également que le projet de constitution s’écrit en arabe et que les termes sont précis pour désigner les choses par leurs noms. Qu’ainsi, il n’a jamais été question de « Pouvoir judiciaire ». Que dans la rédaction, il n’est question que d' »Autorité judiciaire ». Tout est dit dans les mots et on peut comprendre qu’il est illusoire de faire passer « une autorité » pour « un pouvoir ».
Dans le projet de la Constitution, Vème partie: « l’Autorité de la magistrature » (الباب الخامس: السلطة القضائية ), il est écrit dans l’Article 100, que « le juge est indépendant pendant son jugement. Aucune autorité n’est au dessus de lui sauf la constitution et la loi. » puis dans l’article 101, il est ajouté que « Le juge est appelé à avoir de la compétence. Le juge est soumis à la condition d’obligation de neutralité et de probité. Toute défaillance de sa part dans l’accomplissement de ses obligations doit faire l’objet d’un questionnement. »
La Commission de Venise, que nul doute qu’elle est rompue aux tournures langagières qui contiennent des arrières pensées politiques, il lui était enfantin de relever, sans la mentionner, la restriction contenue dans l’article » pendant son jugement », s’agissant de l’indépendance du juge. Le projet d’article prévoyait que le juge pouvait ne pas être indépendant avant le jugement et après le jugement. Il pouvait recevoir des consignes, subir des pressions avant le jugement mais pas pendant qu’il juge. Tout cela en conformité avec la loi et en sus avec la bénédiction des rédacteurs de la constitution. La Commission de Venise, dans son avis consultatif, a suggéré qu’une précision soit ajoutée, qui définit l’indépendance du juge « des pouvoirs législatifs et exécutifs et de tout autre pouvoir ».
Cependant, même si le juge est réputé indépendant dans la constitution, il reste le problème de la loi de 1967, Il est écrit ceci dans l’Article 14 de cette loi » Le ministre de la justice peut, cependant, décider au cours de l’année judiciaire la mutation d’un magistrat pour nécessité de service et soumettre la question au conseil supérieur de la magistrature à sa première réunion« .
Oublions le Conseil supérieur de la magistrature dans l’état actuel de la situation de la Tunisie puisque le ministre de la justice et le dit Conseil en font un. Cependant, comment parler d’indépendance quand le ministre de la justice peut décider de la mutation d’un juge, que tout le monde a deviné que c’est au prétexte de « la nécessité du service ». Tout le monde comprend facilement qu’il s’agit d’une sanction sauf bien entendu l’intéressé.
On pourrait nous rétorquer que cette loi a été adaptée au même titre que les principaux Codes de la loi française. Dans ce cas, comment se fait-il que dans l’adaptation, l’expression « juges inamovibles » est passée à la trappe au dessus de la méditerranée ? En France, il est écrit dans l’Ordonnance n°58-1270- 1958, relative au statut de la magistrature ceci : « Les magistrats du siège sont inamovibles. En conséquence, le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement. »
De quoi faire rêver les magistrats tunisiens !
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la combat continue ! merci pour ce billet
Merci Lilia pour le petit mot. Tes articles sont d’une extrême saveur et finesse. Je les suis régulièrement..