Salah Ben Omrane jeudi 06 mars 2014 10:50
Des avocats disent qu’ils forment la seconde aile de la justice. Drôle de métaphore choisie pour décrire la profession! Comme si elle était faite pour voler en toute liberté. Le citoyen-justiciable, le corps charnu du pigeon, doit-il suivre toute direction que prend son aile, sans faire appel au cerveau ?
Trêve de représentations animalières d’un commensalisme douteux. Passons vite à l’actualité, l’agitation dans les rangs de la profession de l’avocature et essayons de comprendre les soubassements qu’elle couve, pour saisir le sens de ses prises de bec avec la magistrature.
Depuis la dénonciation par le Syndicat des magistrats tunisiens et par l’Association des magistrats tunisiens de l’attaque et la course poursuite d’un juge d’instruction par des avocats, que ce juge étant chargé d’instruire dans une affaire qui met en cause une avocate pour le chef d’accusation d' »escroquerie de sa cliente », que ce juge avait émis un mandat de dépôt à l’encontre de l’avocate en cause, des gens de la profession d’avocat n’ont pas fini de pousser des cris d’orfraie, qui, sans originalité ni surprise, ont opté pour le système de l’attaque en moyen de défense. L’attaque physique du juge en premier, l’attaque de ses choix dans la procédure et l’attaque de sa résistance et sa volonté quand il a refusé de céder à la pression qu’il a subie le vendredi 21 février, jour de sa rédaction de l’acte de mise en dépôt. Son refus d’obtempérer à la pression, avait déclenché « la charge hystérique », selon sa formulation.
Ce n’était un secret pour personne, quand il n’y a pas longtemps, les pressions sur les juges, en conséquent sur la justice, s’exerçaient en toute impunité et de toutes parts (politiques et financières) sans compter celles qui passaient par la voie hiérarchique. D »où l’explication du combat des magistrats, au cours de la rédaction de la constitution, afin d’inscrire noir sur blanc qu’ils sont indépendants pour barrer la route à toutes les tentatives de manipulation et d’influence et de se protéger en tant que magistrats, serviteurs de la justice, lorsqu’ils ferment la porte au nez de celui qui tenterait de leur dicter leurs prises de décisions judiciaires. Leurs regroupements dans un syndicat et en associations ne peut que renforcer cette chère et fragile indépendance, car elle leur offre le moyen légal de se concerter et de se regrouper afin de s’organiser afin de pouvoir faire front entre autres, à toutes les tentatives de pressions sur chacun d’eux, chaque magistrat. Et il n’est pas difficile à comprendre qu’un juge isolé est un juge vulnérable et plus facile à impressionner. Autant qu’il n’est pas difficile de comprendre, que les ennemis de l’indépendance des magistrats, se sont vite dénoncés au cours de l’affaire de l’avocate, pour demander la dissolution du syndicat et de l’association des magistrats.
Leur appel à la dissolution est à prendre en considération tel le cri de détresse de quelques nostalgiques du temps de la dictature avec ses pratiques et ses usages, pour qui, il y a la loi et il y a les circuits d’influences en parallèle à cette loi. Les pressions pouvaient s’exercer dans l’ombre, à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes. Les délateurs de ces pratiques du hors jeu, non seulement ne pouvaient même pas accéder aux médias pour dénoncer les pratiques honteuses dans une république, mais encore, ils avaient de bonnes raisons de se taire par crainte des représailles sur leurs personnes et sur leurs biens. C’est en effet, une première en Tunisie, que des juges l’ouvrent et pointent du doigt une voie d’exercice de la pression.
N’est ce pas bizarre quand monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des avocats affirmait, queleques jours après les faits incriminés, sur Nessma TV: » La mobilisation et la campagne médiatique programmée est venue de messieurs les juges. Nous n’avions pas parlé depuis le vendredi, à l’heure de l’arrestation de la consoeur . Moi personnellement, les radios m’avait contacté et les télévisions et les tribunes et j’ai refusé, tout le monde le sait, de parler à n’importe quelle tribune médiatique, en considérant que le sujet, par principe, est dans une famille de magistrats, les deux degrés se respectent mutuellement, et nous n’avions pas eu recours à aucun moyen médiatique« . Comprenons par là , que d’après lui, il n’y avait rien à redire sur ce que venait de subir le juge d’instruction! Que tout ce qu’on avait entendu ultérieurement, sur « les droits de la défense » sur « l’application du décret organisateur de la profession d’avocat », n’ont de sens que par rapport au soulèvement des magistrats dénonciateurs des conditions dans l’exercice de leur métier. Sans la médiatisation de l’affaire de l’attaque du juge, on n’aurait rien su, sur ces griefs que l’avocature vient de revendiquer subitement. N’est ce pas les magistrats qui sont à remercier dans ce cas pour avoir poussé les avocats à formuler des revendications, quand quelques-uns de ses membres, ont commis des violations à la loi notamment des tentatives d’influencer un juge dans l’exercice de son métier en usant de quelques procédés répréhensibles ?
C’est une erreur de faire croire que les magistrats se sont dressés contre une profession, celle de l’avocature quand ils s’étaient mis en grève, la semaine dernière. Quand les magistrats disent et répètent que leur grève est une protestation contre la pression et une dénonciation publique de la chasse à l’homme de l’un des leurs, qui a le devoir d’instruire, cette version ne semble pas convenir à ceux qui refusent de l’entendre. Il n’y a pas pire que sourd que de refuser d’entendre!
On a bien compris que c’est peine perdue de leur expliquer, que si le juge, ce jour-là avait cédé à la pression, à l’intimidation et à l’humiliation, il se serait trouvé lui-même, en violation avec les principes de son métier et aux principes de la défense de tous les justiciables.
Comment peuvent des avocats, après ces incidents, prétendre que leur cause est celle de tout un chacun en matière des droits de la défense ?
Tant que les avocats se défendent en tant que corporation avec les moyens de leurs choix, qu’ils laissent le public en dehors de leur combat. Le justiciable lambda ne peut que se tenir à l’écart de leurs préoccupations. Il n’a rien à y gagner dans cette bataille, celle d’une corporation qui prétend se placer au dessus de la loi, qui n’a rien à redire sur le comportement d’une extrême sauvagerie de quelques avocats, preuve que lorsque quelques-uns des adhérents de cette organisation ont violé la loi en s’attaquant au juge d’instruction, les chefs de l’organisation ont affirmé qu’il n’ont pas d’excuses à formuler ni de condamnations à formuler. L’erreur d’appréciation de ceux qui ont refusé de s’excuser, est qu’ils oublient que le public déteste la violence, l’arrogance, les parades musclées et la défense clanique. Elles souillent la justice.
Les voies légales de recours ne sont pas faites pour les pigeons. Quant à ce qui est indiqué dans la loi : » S’il est arrivé des poursuites pénales contre un avocat, il est procédé à l’information du président de la section régionale compétente à ce sujet et immédiatement... » , Il n’y a aucune marque de reconnaissance de privilège à la profession de l’avocat. Le législateur, entend protéger le chargé de la défense du justiciable, par cette loi. Le législateur refuse qu’il soit coupé , isolé en cas de pression ou de violence qui puissent s’exercer sur lui. Allez faire comprendre cette logique de la loi à celui qui considère cette protection du défenseur des droits qu’est l’avocat, à un un autre confrère qui perçoit là, un moyen pour faire languir une procédure, comme s’il y trouverait plus de plaisir quand la procédure est longue.
La question, la seule digne d’intérêt, est de savoir comment faire respecter la loi par tous, sans aucune distinction, quelle que soit la catégorie sociale à laquelle on appartient, le métier qu’on exerce et le lieu géographique de sa résidence ?