Loi électorale: Nuage d’encre sur les électeurs tunisiens qui courent derrière le mollusque du Bardo

Salah Ben Omrane  15 mai  2014  11:30

   Une tradition qui colle à la peau de l’administration, des organes et des pouvoirs publics en Tunisie, consiste à mettre un couvercle d’étouffement sur l’information, empêcher de la sorte son accès au public concerné, et par dessus tout, installer une bâche qui camoufle le réseau de tuyauterie des ramifications de sa distribution.

  La nouvelle loi organique relative à l’élection et au référendum, pourtant votée le 1er mai dernier par les constituants ( Qui ne sont pas des « députés », et ne l’ont jamais été), est introuvable sur les sites censés révéler son contenu publiquement, si ce n’est qu’ils ont le devoir de l’exposer à l’entrée de leurs portails respectifs.

 Rien à son propos sur le site de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE). Pas de trace non plus, en ce qui la concerne, sur le site de l’assemblée constituante. Il faut se rabattre sur le site de l’association Albawsla qui, précautions d’usage oblige, avertit que le texte adopté qu’elle présente, n’est pas officiel et qu’il pourrait subir des modifications. L’ISIE et l’AC peuvent ronfler tranquillement. Une association fait à leur place le travail attendu par le public. On ne peut que la remercier et dire qu’heureusement qu’elle est là ! Elle a fait, auparavant, démonstration de son efficacité en diffusant des informations relatives à la rédaction de la constitution en accompagnant les séances de l’assemblée..

Voyons en ce qui concerne le Texte adopté :

 Pour ce qui est des élections législatives, l’électeur aura à choisir entre une liste de candidats contre une autre pour élire l’assemblée du peuple. Il devra cocher un nom parmi d’autres, pour les présidentielles. Puis, il devra déposer la feuille qu’on lui remettra dans l’urne du bureau de vote, auquel il est affilié. Opération qui devra s’effectuer dans des conditions identiques que celles dans lesquelles s’est déroulée l’élection pour la constituante de 2011. Mais, avant cela, il devra, encore, s’inscrire sur une liste électorale. Le tout est contenu dans 176 articles qui répondent à la question du comment doivent s’organiser les futures élections.

 Reprendre les textes de lois, un par un, pour faire apparaître les imprécisions, les carences, les imperfections et toute la prose inadaptée dans une rédaction propre aux textes de lois, est une tâche fastidieuse que je laisse bien volontiers à d’autres, les courageux.

Ceci ne nous empêche pas de relever quelques remarques :

Carte d'électeur ( recto-verso)

Exemple d’une carte électorale en recto/verso

  La principale est qu’il est à constater que le statut de l’électeur, d’après cette nouvelle loi, n’a pas subi une modification substantielle. Rien de nouveau qui facilite la tâche, aussi bien pour l’électeur qui ira voter que pour celui qui participera à l’organisation du vote. L’électeur devra encore se déplacer vers un bureau de vote, voire, se ranger dans une file d’attente pendant des heures et des heures pour s’inscrire et crier victoire pour avoir franchi la première étape: l’inscription. Rien de changé à ce niveau qui lui facilite la tâche, lui éviter de se manifester pour s’inscrire, sous peine de se voir interdit de voter, alors qu’il s’est déjà inscrit sur une liste électorale, il y a moins de trois ans.  Dans les pays démocratiques, il est d’usage que l’électeur ne se déplace pas pour s’inscrire à chacune des élections. L’administration chargée des élection fait parvenir un courrier, sous forme d’une carte d’électeur, qui indique à l’intéressé qu’il est bien inscrit sur la liste électorale avec la mention du bureau dans lequel il devra se rendre le jour du vote, avec en plus , son numéro d’ordre sur la liste électorale. Ajoutons, sur cette carte, qui est valable pour plusieurs élections, il y est apposé un tampon de présence, indiquant que la personne concernée a bien voté. Une telle procédure, l’envoi d’une carte d’électeur à chacun, en reprenant les listes avec adresses des électeurs qui ont servi lors de la dernière élection, éviterait bien du remue-ménage aux organisateurs des élections et éviterait surtout, une perte de temps et d’énergie à l’électeur. Seuls les cas exceptionnels, pour raison de changement de lieu de résidence que l’administration a ignoré ou autres motifs, et qui n’ont pas reçu leurs cartes, en principe doivent se manifester pour leur inscription sur une liste d’électeurs. Il est à déplorer que ce ne soit pas ainsi, d’autant que le temps n’a pas manqué pour que les prochaines élections se déroulent dans des conditions optimales et respectueuses pour les citoyens qui y croient au vote. Tout se fait malheureusement dans une répétition à l’infini des mêmes  conditions irrespectueuses des électeurs, faisant comme si chacune des élections est une première et une dernière, qu’après chacune il n’y aurait jamais plus d’autres élections.

Pour ce qui est du référendum qui éventuellement pourrait avoir lieu un jour, d’après la constitution et d’après la loi électorale, il est en effet dans le menu,  il fait joli sur la carte, signifiant qu’on est dans un pays démocratique, mais gageons que d’ici à quelques siècles devant nous, il y a peu de chance qu’on y fasse recours. Il ne faut pas oublier cette autre habitude ancestrale chez tous ceux qui ont eu un jour la tâche d’exercer le pouvoir en Tunisie, qui consiste à mépriser l’avis de la population. L’habitude inscrite dans les gênes de ceux qui parviennent à se placer au pouvoir en Tunisie, consiste à prendre des décisions à la place du peuple, en son nom, mais jamais en le consultant par le moyen d’un référendum. Jusqu’à présent rien n’indique que cette habitude, qui est un héritage d’une certaine conception de la gouvernance des affaires du pays  avec un esprit totalitaire et despotique,  est sur le point d’être rangée au placard.

Prenons pour illustration que le statut de l’électeur n’a pas changé et que les rédacteurs du texte final adopté par les constituants, ont pris pour fait que l’électeur tunisien fasse partie de l’électorat du tiers monde. l’article 130 dans la nouvelle loi, y est ainsi disposé:

« Quand l’électeur entre dans le bureau du vote, il est procédé à l’authentification de son nom , son prénom et le numéro de sa carte d’identité ou son passeport .Suivant l’ordre de son nom sur la liste des électeurs réservée au bureau de vote , il signe devant son nom et son prénom.
L’électeur reçoit la feuille d’élection après qu’elle ait été visée par le président du bureau et il entre obligatoirement dans l’isoloir. Dès sa sortie il dépose le bulletin dans l’urne réservée à l’effet à la vue des présents dans le bureau.
Le comité peut prescrire l’encre de l’élection à l’électeur et l’accompagnant .
Tout électeur qui entre dans le centre d’élection avant l’heure précisée de fin de l’élection a le droit de voter. »

 On remarque que d’après le paragraphe 2 de cet article, que la feuille que l’électeur aura à déposer dans l’urne, ne sera communiquée que le jour du scrutin et dans le bureau de vote. Ainsi, il n’est pas laissé de possibilité aux électeurs de se familiariser avec l’objet déterminant du vote et de leur choix, qu’est le bulletin. C’est une répétition de la même condition dans laquelle s’est déroulée l’élection de la constituante qui a fait preuve de défaillance chez la population analphabète, qui a été mise en difficulté alors que si elle avait eu en main un exemplaire de cette même feuille, quelques jours avant cette date, elle aurait su et pu s’en informer et demander des explications à leurs proches entourages dans des conditions de sérénité .

  Quant à la formulation »Le comité peut prescrire l’encre de l’élection à l’électeur et l’accompagnant« , il est à noter que les rédacteurs de cette loi, ont battu le record de la légèreté dans sa rédaction. Car, une loi indique ce qu’on doit se faire ou ce qui est interdit de faire. Une loi est une indication précise et doit dissiper le flou et non le provoquer.

 Cela revient à dire, par cette loi, qu’à tout moment, on peut tremper une partie de l’anatomie de l’électeur dans un flacon, voire peut-être dans un sceau à encre ou dans une jarre. Que par ce tatouage, on a la signature qui atteste que l’électeur tunisien se range parmi les électeurs du tiers monde, où se maintient encore ce genre de pratique et tradition de barbouillage. Une infantilisation organisée de la population électorale.

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Un commentaire pour Loi électorale: Nuage d’encre sur les électeurs tunisiens qui courent derrière le mollusque du Bardo

  1. mauderenaud dit :

    A reblogué ceci sur Tunis In.

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