Salah Ben Omrane 02/09/2014 00:55
On peut dire qu’on est à peine à l’ère du balbutiement, en ce qui concerne la représentation des partis politiques tunisiens par eux-mêmes et par des insignes.
Logo, logotype, khapcha (خبشة) qui signifie en arabe une signature griffon, idéogramme, icône, signe, insigne, marque, emblème, symbole ou blason, sont toutes des appellations variées qui se rapportent à un type d’identification par l’image ou par la forme d’un dessin.
L’insigne est ce graphique qui peut représenter un regroupement politique ou un parti. Sa vocation est de permettre une identification rapide du titulaire auquel il renvoie. S’il doit être utile et pratique pour les illettrés et les analphabètes afin qu’ils puissent identifier facilement une formation politique à l’aide de sa graphie et ses couleurs, souvent le concepteur de l’insigne a la charge, en plus de cette tâche qui parait évidente, d’y inclure, aux mieux du possible, l’illustration représentative qui doit parvenir à exprimer synthétiquement le particularise du groupement politique à lui faire l’insigne. Souvent, sa réalisation est confiée à l’un des leurs, choisi en tant que le spécialiste et désigné en « expérimenté », ou à un professionnel quand la formation politique considère que l’insigne est un élément représentatif de son image, qui mérite qu’un budget conséquent lui soit consacré. Ceci-dit, on peut se demander si cette seconde éventualité pouvait sembler évidente aux partis tunisiens, au constat dans le peu de créativité, de l’absence d’innovation et du manque d’originalité flagrants et perceptibles dans la majorité des insignes des formations politiques qui circulent en ce moment.
l’insigne original de l’Union pour la Tunisie* est celui-ci:
Il est d’un graphisme assez innovant et il sort de l’ordinaire auquel nous ont habitués les formations politiques tunisiennes. Il y a une économie visuelle dans les couleurs. Il peut faire date en signant la fin des images récurrentes de la lune, l’étoile, la colombe, l’arbre, le bateau, la main avec le poing serré, les épis de blé dans toutes les formes sans oublier le cachet administratif à qui on peut remarquer qu’on voue un culte tout particulièrement pour le pouvoir et l’autorité qu’il symbolise.
Ceci dit, on n’a pas encore terminé avec la lumière puisqu’il s’agit d’ampoule dans le cas présent. Il y de l’effort dans le renoncement aux symboles usuels où tous les partis dont se sert sans trop se poser de questions^, avec plus de volonté de renvoyer une image rassurante en espérant d’être vu « comme », d’être « tout au moins comme les autres », et moins de témérité artistique qui rendrait le facteur risque de ratage bien réel.
La lumière, symbole de la vie, renvoie plus aux icônes dans les traditions de la religion chrétienne alors que dans les arts et les traditions arabo- musulmanes- judaïques, l’eau est le plus puissant des symboles de la vie. Gardez votre électricité et aidez moi à creuser un puits, vous dira tout habitant dans un pays limitrophe au désert du Sahara. La lumière , ce n’est pas ce qui manque. Il y en a même trop !
Cependant le filament de l’ampoule est fragile. En plus, cette ampoule n’est pas économique. Elle n’est pas écologique. Est-ce la fragilité de l’union à laquelle fait allusion l’insigne, après la décision du parti de Nidâ tounes qui avait choisi de faire cavalier seul en présentant ses propres listes électorales, alors même, qu’il était l’un des principaux fondateurs du filament de l’union ?
Si cet insigne était présenté par un parti politique en France, cela aurait provoqué quelques hilarités et moqueries. On aurait très vite entendu parler « de têtes d’ampoules ». Une expression moqueuse qui signifie des personnes lumineuses par leur intelligence. Une des précautions, que normalement les concepteurs doivent y penser lors de l’étude d’un projet, en évitant les rampes nuisibles et dangereuses. Les extrapolations en études sur l’éventualité des accidents et des glissades, sont une partie intégrante dans toute conception de nouveau projet, y compris et surtout lorsqu’il s’agit de communication. Elle est l’anticipation des risques. Cela ne concerne pas exclusivement la fabrication des objets, avant qu’ils ne soient mis sur le marché, à l’exemple des véhicules, qui subissent des tests pour qu’ils soient conformes aux normes et exigences de sécurité. Il est du rôle et de la responsabilité du fabriquant de penser à tout et tous les fabricants de véhicules consacrent un budget conséquent aux tests mécaniques, avant toute mise sur le marché un nouveau véhicule. Au sujet d’une mauvaise campagne publicitaire, s’agissant de véhicules, même après le test mécanique, il est arrivé qu’une campagne publicitaire, celle de la Renault 14, associe et assimile le nouveau modèle à un fruit : la poire. Le concepteur publicitaire n’avait pas tenu compte de la signification du qualificatif « poire » dans le domaine public, qui désigne une personne niaise et faible d’esprit. La campagne publicitaire a été mise à mal et fût un échec pour la marque automobile.
L’acronyme de désignation d’un groupe politique a également son importance. Souvent dans son choix, ses concepteurs pensent à ce qu’ils veulent obtenir et occultent le possible ou l’inévitable. S’agissant d’un groupement politique UPT, ayant cet acronyme précisément, il aurait été judicieux d’éviter le choix de « ampoule » en symbole. Pensons à ce qu’on entendrait dans la prononciation de l’acronyme : « l’eut pétée ».
l’insigne original du Front populaire (Aljabha) est celui-ci:
le symbole d’un phare sur fond rouge à rayures diagonales, comme il n’en existe aucun de la sorte dans toute la Tunisie ( sauf à la devanture chez les anciens coiffeurs »« ) . Il faut rappeler aussi qu’on n’a pas construit de phares dans ce pays il y a belle lurette. Les nouveaux instruments de navigation, modernes, n’en ont plus besoin. Pourquoi s’attacher à une relique du passé quand on veut la modernité ?
Le pictogramme a la forme d’un tube. Un des produits alimentaires qu’exporte la Tunisie qu’est l’Harissa. Elle peut-être en boite ou en Tube. La marque, connue, porte l’image d’un phare : « Phare du Cap Bon » représenté au milieu de l’ovale :
Un insigne original malgré tout, une sorte de totem avec sa parure de rayons de lumière (élément de raccord avec le regroupement politique: l’Union pour le Tunisie), sans surcharge, pour cette formation composée de quelques partis et des indépendants et qui promet une campagne électorale d’un goût qui ne sera certainement pas fade !
l’insigne de Nidâ Tounes (Appel de la Tunisie) est ceci :
. Visuellement, il n’est pas « reposant ». Il défie la loi de la nature notamment, l’attraction terrestre.
À priori, l’auteur de cet insigne a fait en sorte que le tronc du palmier et la lune en soient un et même objet. Certains diront que c’est artistique. Ce procédé d’usage comme d’un objet ou l »élément d’un objet, pour faire « artistique », on le retrouve dans plusieurs insignes: exemples, des épis de blé qui font figure d’un axe d’une balance de pesage ou les ailes d’un volatile qui forment une lune dans l’insigne d’Ennahda. Une sorte de pertinence artistique qu’on retrouve généralement dans la calligraphie arabe où les mots forment le dessin d’un objet, très souvent ils forment le dessin d’un animal. Il n’y a pas d’objection particulière en ce qui concerne la technique du double ou triple emploi d’un élément. La perception de la dite performance est une autre affaire. Autant que toutes les idées, elles peuvent paraître prometteuses et séduisantes au stade de l’imagination d’un projet, puis elles peuvent s’effondrer et deviennent des catastrophes visuelles après la réalisation.
Ici, la représentation de la lune, élément de figure du drapeau national de la Tunisie, tient debout malgré sa demi-circularité rendant le poids de sa masse dans un équilibre « impossible ». Un impossible qui devient possible par la magie des lois et des conventions de la représentation par le dessin. Il y a également l’effet de persistance qui fait que la magie opère. Ainsi , à force de raconter une histoire , qui n’est pas crédible et personne n’y croit lorsqu’elle est entendue les premières fois, elle finit par conquérir du public et devient crédible à force de l’entendre sans cesse et quotidiennement. La répétition, l’obstination et l’insistance finissent par obtenir gain de cause. Or, en ce qui concerne la représentation de la lune, peu importe le volume et la taille de sa figuration, il est convenu que c’est l’effet de son éclairage par le soleil qui est représenté. Les formes de représentations de la lune sont des reformulations en diverses copies de l’action lumière du soleil sur le morceau de roche circulant autour de la terre. C’est précisément la soudure ou le jumelage entre la lune et le tronc du palmier qui a du mal à passer visuellement. Des tronc de palmiers courbés ? Il n’y a que ça! Mais alors, ils ont des racines qui font le contre-poids pour que le palmier puisse jouer avec le vent sans se plier ni de s’écrouler. Visuellement, le palmier de l’insigne donne l’impression qu’il va s’écrouler et entraîner la lune avec lui dans le mouvement de sa chute « » D’où l’explication de la canne (que j’ai placée) qui est destinée à caler le palmier pour éviter la chute. Rien avoir l’âge, juste une question d’équilibre des éléments.
Sans la lune, seulement le tronc du palmier, pas besoin de visualiser les racines, mais avec la soudure de la lune au palmier, le déséquilibre a été créé. Car même dans certains domaines, ceux de l’art, où il peut sembler que tout est possible, à la différence du langage écrit ou parlé, il y a malgré tout une frontière, elle est celle du goût.
l’insigne original du parti Républicain « Aljomhouri »:
Le parti s’appelait : Parti démocrate progressiste (PDP) en 2011. Il avait cet insigne :
Depuis, la plante a grandi et s’est transformée en un arbre très dense avec beaucoup de feuillage. Il peut faire penser à un olivier sur socle servant de trait d’une signature. On retrouve la représentation de l’arbre en couleur blanche, donnant l’illusion qu’il résulte d’une impression par estampage. Un arbre si touffu et alvéolé qui ressemble aux vraies impressions radiologique des poumons.
Un détail saute aux yeux, est que cette représentation évoque l’insigne d’un parti en France qu’est l’Union pour un mouvement populaire (UMP) :
Quant aux insignes de ces deux partis : Almahabba » » et Ennahda
« « , il est n’est pas besoin d’insister sur « le rafistolage » forcé entre les genres et les formes des éléments qui composent chacun de ces insignes avec une nette surabondance de quelques clichés qui sont reproduits.
L’insigne de Tayar Almahabba se sert de la lune comme on se sert d’un objet inanimé et à proximité. Il s’en sert comme on sert d’un un tiroir de rangement en bois destiné à pouvoir contenir le maximum d’objets. Il y a en effet une étoile et une coupe bien brillante, plus lumineuse que la lune.
Avec cette représentation , on a quitté la scène politique pour entrer dans un stade de foot. Il y a un doute sur ce que représente le socle sous la coupe. Étrangement, cela pourrait être un livre. Si tel est le cas, seul le livre saint est généralement évoqué dans les insignes politiques. Le maniement d’un symbole devrait se faire avec plus de précaution en évacuant toute ambiguïté qui pourrait naître. Serait-il par hasard ce livre ? Difficile de trancher la question, en espérant que ce ne soit pas le cas d’une maladresse dans l’accumulation des objets et qu’au final le livre en question se fasse « piétiner » par une coupe de football, qui peut s’acheter à trois sous sans concourir pour de vrai ? C’est un cas flagrant de brouillage des sens dans le présent insigne. Une accumulation hasardeuse d’images d’objets qu’au final, cela fait penser à la vitrine d’une petite boutique de quartier, qui prétend pouvoir tout vendre dans sa petite surface, de l’alimentaire, jusqu’à la Hifi, le tout se mélange avec le vestimentaire. Ou autrement un couscous avec des frites !
Quant à l’insigne d’Ennahda, avec le volatile, ne sachant pas si c’est un aigle ou un pigeon qui déploie ses ailes et ainsi il est mis à contribution forcée pour faire la forme de la lune qui entoure une étoile, est tout simplement enfantin. Surprenant que le parti en question, néglige autant un moyens si important de la présentation de son apparence.
De toute évidence, on n’attend pas que les partis politiques créent des insignes qui pourraient faire fureur, ni de recueillir des masses de nouveaux adhérents grâce à un insigne. Il y a le regard et le jugement partisans qui empêcheront, de toute évidence, toute évaluation objective en la matière. C’est humain mais surtout culturel ! Les outils de la démocratie, lorsqu’ils se vulgarisent et se propagent, peuvent aider à faire la part des choses en nuançant son jugement des faits , actes et images de sa famille politique et ceux de ses adversaires.
Quels sont les critères pour avoir le bon insigne pour un parti politique ?
– Il doit permettre sa rapide identification.
– Il doit être accessible aux analphabètes en renvoyant sans peine ni confusion vers la formation politique de son détenteur.
– Il doit pouvoir être reproduisible en toutes circonstances avec peu de moyens et peu de matériel.
– Il doit demeurer identique dans sa reproduction sur des supports variés.
-Il doit être clair, précis dans les couleurs et la forme.
Dans un autre domaine, celui des gigantesques entreprises économiques, on peut rappeler quelques exemples de prouesses dans la réalisation des insignes. Le résultat confirme encore une fois de plus, que la pureté et la simplicité dans les formes en disent long sur le talent de leurs concepteurs : Apple, Toyota et Nike.
Pendant les quatre dernières années, nous avions assisté globalement, malgré le très grand nombre de partis politiques en Tunisie et qui dépasse la centaine, à une grande majorité d’insignes qui se composent avec un rayon d’ingrédients assez limité. Le mimétisme y a beaucoup contribué, où chacun fait comme son voisin. Il y a eu de nombreuses représentations des volatiles (colombes et aigles) qu’elles soient sous des formes figuratives ou abstraites dans les insignes et toutes sont associées à d’autres formes et textes dans les insignes des partis ( quelques images et ce n’est qu’une partie du lot) :
Il y a de nombreuses balances telle celle-ci :
. De nombreuses étoiles comme celle-ci :
Des lunes :
. Des épis de blé de toutes sortes et de toutes les couleurs:
. Des cartes du Maghreb ou du monde arabe et de la Tunisie :
. Des mains qui se saluent et des mains prêtes au combat:
. Des ronds et des ronds pour faire des insignes en cachets administratifs :
Puis, des arbres, des voiliers, et le soleil :
. Il y a encore ce symbole persistant du communisme léninisme »
» qui avait été crée dans un autre contexte et à une autre époque de l’histoire. Il était devenu officiel en 1922 en URSS. L’ironie est qu’à l’origine le symbole représentait un marteau croisant une charrue. La charrue étant proche de la charrette, cette dernière est assez évocatrice de la condition sociale de la majorité de la masse des gens en Tunisie qui tentent de se débrouiller comme ils peuvent pour vivre dignement. Le jeune Mohamed Bouazizi faisant partie de cette masse.
Souhaitons qu’un tel déluge d’insignes avec si peu d’imagination s’arrête là. Il est vrai que reproduire comme son voisin, que lui même, a déjà reproduit des clichés et des stéréotypes dans ce qu’il fabrique, n’est pas l’apanage du domaine de l’art ou celui de la communication en général. L’industrie artisanale en témoigne suffisamment sur cette vacuité de l’imaginaire, cette maladie de copier la copie jusqu’à l’infini. C’est une misère d’un état d’esprit, bien réelle, qui rappelle en toutes circonstances que l’insigne est un signe.
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À peine cet article venait de se terminer et mis en ligne, voilà qu’au le lendemain, le parti politique Afek Tounes « dévoile son logo ». Expression propre consacrée à l’évènement et perçue dans la presse. Ainsi, l’insigne est pris d’assaut par les photographes et il n’y a pas de raison qu’ils boudent leur plaisir de faire crépiter leurs flashs en immortalisant l’oeuvre. C’est celle-là : . Une Khomsaya (ou main de Fatma pour les touristes) . Pour les superstitieux, El Koffar si vous préférez, aux yeux des salafistes, le fait de porter cet objet représentant la main, en principe, il doit éloigner annuler l’effet du mauvais oeil et écarter le mauvais sort. Voilà où nous sommes question représentations de programmes pour l’avenir du pays et question conflits idéologiques, entres des tendances politiques dans le pays. Ce talisman, arme secrète, vient d’être porté à la connaissance de tous. Que les jaloux et les rancuniers prennent garde, les gens du parti ne lèveront même pas le petit doigt pour se défendre, les affronter ou leur répondre, les forces maléfiques viennent d’être commandées et chargées de la tâche !
Je n’allais pas parler de cet évènement, puisqu’en ce qui me concerne, l’article étant terminé , il n’y a rien à ajouter. Sauf que ce matin , soit trois jours après cet évènement, j’entre dans une boutique et qu’est ce que je vois ? Je trouve sur les étalages un coussin que voici ( pris en photo) :
Et dire que le parti s’appelle » أفاق تونس « ( Les horizons de la Tunisie), s’il ne visait pas l’horizon, s’il regardait pas très loin, qu’est-ce qu’il aurait alors eu comme insigne ?
SUITE de l’article (complément du 23/12/2015).
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*L’Union Pour la Tunisie est une coalition de partis politiques, censée constituer un front de taille à pouvoir affronter lors des prochaines élections le parti Ennahda. Cette coalition regroupe regroupe le parti Al-Massar, le parti Socialiste, le Parti du travail patriotique démocratique, puis Nidâa Tounes qui s’est retiré de cette formation et le Parti Aljomhouri. Ce dernier, constatant le retrait de Nidâa Tounes, n’y voyait plus de raison de poursuivre le rassemblement, à son tour, il a quitté la coalition.