Salah Ben Omrane 28 février 2015 12:10
Hier vendredi, les élus à l’Assemblée des Représentants du Peuple étaient appelés à se prononcer par un vote, unique dans son genre, qui consiste à se prononcer sur la signification de l’opposition parlementaire.
En réalité, ils n’ont pas été invités à dessiner les contours de l’opposition d’une façon aussi crue et directe. Une telle frontalité dans l’expression des sens, sans doigté, aurait provoqué la levée de la minorité survivante attachée au respect des procédures à suivre et des démarches à mettre en oeuvre, dès lors qu’un litige survient à propos d’une interprétation quelconque de l’un des articles de la constitution.
Le Conseil constitutionnel a bien été prévu pour indiquer à tous, quand c’est nécessaire, la bonne lecture de la loi . Même les députés ont le droit de faire appel à ses services.
Vu que les mêmes députés avaient, depuis un moment, bouclé, la rédaction de leur règlement intérieur, que vraisemblablement ils sont passés à autre chose, il est vrai que cela fait désordre de les voir remettre les couverts, s’attabler pour soutirer du plus profond de leurs âmes et consciences, une définition de l’opposition parlementaire, maintenant que le train est en marche.
Qu’est ce qui leur a été demandé ?
Il fallait opter pour l’une des deux désignations de l’opposition qui suivent, qui leur ont été proposées mais, dans une formulation bien enrobée, bonne pour écraser toute amertume qui pourrait constituer un obstacle à la digestion de l’illégalité :
La première : La commission des Finances est à attribuer au groupe de l’opposition ayant le plus de membres .
La seconde : La commission des Finances est à attribuer à tous les membres déclarés et identifiés comme étant dans l’opposition.
Résultat : la première proposition l’a emporté de justesse à 109 voix, puis le même résultat a été contesté et le vote a été annulé, car on s’est aperçu qu’un député a voté deux fois. De quoi ravir les accros aux contes interminables à la Mille et une nuits ! Grâce à ce héros, ce dévoué de député, le spectacle est loin de se terminer si tôt.
Si le score ne nous intéresse pas, tout en sachant d’avance que du nombre de votants cueillis par l’une ou l’autre propositions, dépend la désignation du nom de celui qui occupera le fauteuil de la présidence de la commission des finances : Mongi Rahoui du Front populaire si c’est un oui majoritaire à la première ou Iyed Dahmani de la Formation Démocratique en cas de triomphe de la seconde, on peut toutefois en déduire de ce tour de passe-passe, malin subterfuge, que dans les faits, il y a une réécriture d’un article de la constitution définissant l’opposition parlementaire et au passage une réécriture d’un article du règlement intérieur sur le même sujet ( voir en bas de page).
Cela amène à constater que si l’intégration juridique de l’Opposition dans l’exercice parlementaire y est, du moins doit y être, en principe et en théorie , que dans la pratique son intégration politique n’est pas assurée. Qu’à tout moment, au gré de l’humeur de la majorité des députés, l’avenir de l’opposition en dépend. Qu’aujourd’hui si l’opposition qui semble bien oublier qu’elle est une minorité, estime qu’elle n’a rien à redire devant une telle manipulation sémantique, qui en apparence tend à régler un conflit dans la désignation d’un président de commission, il est moins sûr que l’enjeu est d’une importance moindre ou équivalente à la prochaine manipulation qui donnerait une lecture et une définition d’un autre article de la constitution selon le point de vue de la majorité parlementaire qui gouverne le pays.
Comment peut-on demander à un élu de l’Assemblée des Représentants du Peuple, de donner libre cours à son interprétation du texte de la constitution relatif à la définition de l’opposition, texte auquel est attaché un statut ainsi que de prérogatives spécifiques aux droits d’une minorité de voix, qu’ensuite, il décide à l’issue de sa convenance, avec sa décision à la clé qui prend un effet immédiat, s’il entend par opposition un groupe ou des élus de son assemblée ?
Que fait-on de l’élu qui s’oppose, en ne votant pas la confiance au gouvernement ou qui ne vote pas une loi proposée par celui-ci, alors que ce même élu est identifié comme faisant partie du groupe majoritaire duquel le gouvernement est issu ? Doit-on, dans ce cas créer, une nouvelle catégorie d’élus parlementaires qu’on désignera « les frondeurs » et à qui on attribuerait un nouveau statut avec des prérogatives, en évitant ainsi que ces voix d’élus du peuple passent à la trappe ?
D’un côté on reproche aux députés de se transformer en marionnettes, en suivistes qui votent comme un troupeau, sans convictions de représentants du peuple, et de l’autre côté, on fait tout pour les piéger dans un format qui n’obéit qu’aux calculs et aux manoeuvres politiciennes.
N’est il pas un déni de démocratie quand une majorité décide ce qu’est l’opposition dans son parlement ? Il serait illusoire qu’une majorité parlementaire accepte d’attribuer le titre d’opposants à des députés qui sont sont fait élire sur ses listes et qui figurent dans son groupe. D’où , il n’est pas étonnant que la première proposition soumise au vote récolte le plus de voix.
La Tunisie est une démocratie naissante. Les constituants avaient inscrit dans la constitution un certain nombre de droits aux élus du peuple, ceux de l’opposition, au sein de l’assemblée parlementaire, en leur allouant des fonctions institutionnelles, sans les écarter ni les marginaliser comme cela se pratiquait dans un un sombre passé. L’inspiration des modèles dans le fonctionnement existant des chambres parlementaires, y est dans la constitution et dans le règlement intérieur. Or, ces mêmes modèles, sources d’inspiration, sont porteurs de théories en tous genres mais que parfois révèlent de quelques dysfonctionnements dans la pratique dès lors qu’il est question d’équité entre tous les élus dans les assemblées étrangères respectives, prises en références lorsque la constitution tunisienne s’écrivait. Les expressions contradictoires entre celles des majorités et des oppositions sont censées former un ensemble cohérent dans chacune de ces assemblées parlementaires suivant des règles qui certes ne sont pas identiques mais toutes accordent une place à l’opposition dans le jeu de la démocratie. Il serait désolant que l’assemblée parlementaire tunisienne ne retienne de ces modèles que l’expérience du jeu des manipulations et des stratégies mécaniques pour renforcer un courant majoritaire pro-gouvernemental en oubliant que le respect de la loi et des procédures légales c’est aussi de l’écriture d’une tradition parlementaire. Si en France la couleur politique de l’élu détermine sa place, à l’élu, et son rôle au sein de l’Assemblée nationale, que de ce fait les élus de l’opposition se retrouvent cantonnés soit à voter contre les décisions du gouvernement ou de s’abstenir, dans l’attente des prochaines élections, qu’il existe ailleurs une autre conception de l’exercice parlementaire. En Angleterre l’opposition forme une alternative perpétuelle prête à remplacer le gouvernement en place à tout instant autour d’un leader, sous la forme d’un «Shadow cabinet». Une sorte d’équipe de réserve prête à tout moment de prendre les commandes du pays sans réclamer un temps de grâce de familiarisation avec le pouvoir. Chacune de ces dernières assemblées son porteuses de coutumes et traditions. La Tunisie a cette belle occasion d’édifier une assemblée de députés respectueux des lois dans une nouvelle page de son histoire, sans un quelconque fardeau d’une vielle coutume parlementaire qui l’empêche d’innover ou d’être tout simplement conforme aux mandats électifs de ses députés. Il serait désolant que les députés s’amusent à faire de la politique quand ils sont appelés à ne faire que du juridique.
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L’article 60 de la Constitution:
Sa Traduction ( non officielle et par mes soins) :
« L’opposition est une composante essentielle dans l’Assemblée des représentants du peuple. Elle a ses droits qui lui permettent de se lever avec ses fonctions dans le travail de la représentation. Il lui est garanti spécifiquement une représentation appropriée et active dans toutes les structures et activités de l’Assemblée, intérieures et extérieures.
Il lui est obligatoirement attribué la présidence de la commission chargée des finances et la fonction de Rapporteur dans la commission des relations étrangères. Elle a le droit de former une commission d’instruction chaque année et de la présider.
Parmi ses obligations, il y a la participation active et constructive dans le travail de représentation. »
Article 46 du Règlement Intérieur de l’Assemblée :
Sa traduction ( non officielle et par mes soins):
» Il est signifié par opposition suivant le présent règlement intérieur :
– Tout groupe qui ne participe pas au gouvernement et que la majorité de ses membres n’a pas voté la confiance au gouvernement ou qui n’a pas voté par sa majorité la confiance pour que le gouvernement poursuive son activité.
– Les députés n’appartenant pas aux groupes qui n’ont pas voté la confiance au gouvernement ou voté la confiance pour que le gouvernement poursuive son activité.
L’abstention est réputée refus de confiance au gouvernement.
Il ne peut y avoir une classification dans l’opposition que sur présentation d’une déclaration écrite à la présidence de l’Assemblée par le bloc ou le député concerné.
Le député ou le bloc qui quitte l’opposition perd automatiquement la mission qui lui était attribuée en cette qualité.
La déclaration en ce qui concerne l’appartenance ou le retrait de l’opposition, est publiée au Journal Officiel de la République Tunisienne relatif aux délibérations de l’Assemblée des Représentants du Peuple. »