Salah Ben Omrane 21 mai 2015 10:50
l‘adoption à la majorité ¹ des voix, le 15 mai dernier, du projet de loi constitutif du Conseil Supérieur de la Magistrature par l’Assemblée des Représentants du Peuple, n’a rien arrangé du tout de l’atmosphère de suspicion qui a entouré sa rédaction jusqu’à sa présentation au vote dans l’assemblée.
Bien au contraire, le débat sur l’organisation et l’installation de cette nouvelle institution n’est pas clos à l’issue du vote.
La garantie législative, censée faire de la justice tunisienne une justice indépendante où les décisions des magistrats se prennent à l’écart de toute influence néfaste sur le quotidien de la justice, de toute forme de pression de l’exécutif sur les jugements et de toute intimidation des lobbies et autres puissances dont des corporations professionnelles à l’égard du juge, n’y est pas.
Son passage au vote dans une précipitation inquiétante au prétexte qu’il fallait respecter le calendrier législatif fixé par la constitution, est douteuse. Elle a mis le feu aux poudres, amplifiant les controverses sur les dispositions contenues dans le projet.
Les juges, par la voie de leurs syndicat et associations s’estiment floués, ignorés pendant tout le long de l’écriture du projet, écartés des décisions qui les concernent en premier lieu et au delà de leur bannissement, ils estiment que le résultat ne garantit pas à une justice indépendante, telle qu’elle est inscrite dans la constitution.
Ils en appellent au Présidents de la République et du gouvernement de refuser sa promulgation et suggèrent de le renvoyer au destinateur pour défaut d’inconstitutionnalité. Entre temps, consigne est donnée pour qu’aucun juge ne propose sa candidature à la nouvelle instance et n’accepte de participer à une organisation qui nuit à leurs intérêts.
La grève avant le passage au vote, à laquelle avait fait appel l’Association des Magistrats, les cris d’alarme du Syndicat des Magistrats Tunisiens, qui tous, s’estimaient avoir été sciemment écartés par la commission chargée de son élaboration, s’ajoutent aux réserves du ministre de la justice, initiateur même du projet, bien différent de celui qu’il avait soumis, n’ont pu constituer un motif sérieux pour infléchir la commission parlementaire en ajournant sa présentation devant ‘assemblée plénière à une date ultérieure, qui en toute logique ne peut se produire qu’à la suite d’une concertation sereine avec les principaux intéressés par le projet qui sont les magistrats, d’autant plus que ce sont des magistrats tunisiens, prêts à collaborer sans percevoir en contre-partie ni indemnités ni émoluments.
Durant la course vers le vote, le principal souci et longtemps répété, est que le projet de loi devait être terminé dans un délai que la constitution avait fixé.
Il fallait oser revendiquer la contrainte du temps par respect pour la constitution .
Sauf qu’en avançant cet argument, c’est oublier que la même constitution est née d’un souci supérieur à la contrainte par le sablier et de la notion de délai, qu’est la norme de la rédaction d’une législation optimale dont la République Tunisienne devrait se doter. Une constitution, elle même, rédigée avec un franchissement bien assumé du délai, qui lui était pourtant prescrit par un Décret présidentiel en 2011 ².
On veut bien croire que les nouveaux élus, parmi eux, ceux qui siègent à la commission de rédaction, sont plus soucieux que leurs prédécesseurs- certains sont les mêmes- les Constituants, en ce qui concerne l’impératif du respect scrupuleux des délais, compte tenu de la masse de travail qui attend les membres de l’assemblée.
Sauf que si les élus sont si pressés pour faire des lois en adhérant au principe de légiférer dans l’urgence, comment expliquer alors que les mêmes nouveaux élus de l’Assemblée des Représentants du Peuple avaient dédaigné occuper les bancs de l’assemblée au lendemain de leur élection législative, en s’abstenant de s’atteler à la tâche dans l’urgence en traînant des pieds dans la mise en formation d’un nouveau gouvernement, suivant un délai pourtant bien fixé par la Constitution, qu’aujourd’hui, ils élèvent si haut au risque de perforer le ciel .
Ne soyons pas dupes ! Les élus de l’opposition du Front Populaire avaient bien compris les tenants et les aboutissants du passage précipité au vote du projet de loi. Ils ont déserté les bancs de l’assemblée en déclarant refuser d’être « les témoins d’un faux témoignage ». De même, les élus d’Afek Tounes avaient voté contre le projet, malgré que cette formation soit participante à la majorité gouvernementale.
Soit nous partons du principe que la Tunisie doit s’inscrire dans la vielle tradition, c’est à dire que la justice ne peut pas être indépendante, elle ne peut pas être une autorité à part entière, que les magistrats sont à craindre si malheur les prend, se bornent à appliquer la loi, sans pouvoir exercer aucune pression pour les arrêter, qu’ils considèrent sérieusement que la loi est faite pour tous et pas que pour les pauvres, qu’ils prennent au mot ce que dit le droit, sans l’interpréter, sans le conditionner au gré des puissants par l’argent et donneurs d’ordres de l’exécutif, qu’un juge peut être sérieusement indépendant, tenu, noté et suivi seulement par ses pairs, qu’un juge est potentiellement dangereux, s’il se conforme à la stricte loi et s’égare en dehors des limites et du champ qui lui sont soufflés, dans ce cas nous rangeons l’introduction du projet de statut du Conseil Supérieur de la magistrature, tel qu’il est, en un épisode de démonstration, indiquant que la Tunisie est aussi capable de faire de la littérature sur une justice indépendante mais qu’on ne la veut pas cette indépendance des juges. C’est aussi dire ainsi qu’une véritable justice indépendante est en inadéquation avec les véritables pouvoirs qui font tourner le quotidien des Tunisiens, que ce projet n’a pour rôle que de contribuer à l’opération de séduction par l’image. Que tout cela est conforme au souci traditionnel qui consiste à peaufiner l’image de la Tunisie, renvoyer vers l’extérieur une image édulcorée et reprenons les vieux réflexes d’antan , tant pis si la Tunisie elle même en compatît de cette réalité sordide. Autrement, qu’on peut avoir une justice indépendante mais qu’on est libre de ne pas en vouloir, car aux circonstances actuelles, des magistrats indépendants, deviendraient intenables et feraient prendre des risques à une stabilité de surface que la Tunisie n’est pas prête à assumer, Ou bien nous partons du principe que la Tunisie est une démocratie naissante, qui veut se doter sérieusement d’instruments faits pour maintenir l’équilibre des pouvoirs, dans ce cas nous devons considérons l’épisode auquel nous venons d’assister en un traitement léger qui a été réservé à une loi organique, une loi qui se situe dans le prolongement de la constitution et qui met en place un pilier dans l’organisation de la justice : le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Ceci n’est pas à prendre à la légère et l’argument de l’impératif « limites dans le temps » ne convainc pas et n’explique nullement la précipitation dans sa re-rédaction.
▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬