Salah Ben Omrane 08 juillet 2015 21:10
Il y a des circonstances où l’humilité devrait être de rigueur et la sérénité soit la règle dans le traitement de l’information. L’attentat commis à l’Imperial Marhaba de Sousse, en est une. Parmi ceux qui ont choisi d’en parler, certains ne se privent pas d’étaler publiquement leur imagination, au prétexte qu’ils « doivent » informer le public, or ils ne prennent pas la précaution de mettre un avertissement, une barrière, en signalant la frontière entre l’information obtenue et avérée qu’ils désirent livrer et leur subjectivité fertile qui enveloppe la part qu’ils ont pu retenir de l’information.
Contrairement aux journalistes, les témoins ont droit à tout et il revient aux enquêteurs administratifs de démêler entre l’objectif et le subjectif dans les témoignages. Que les témoins qui étaient présents sur les lieux de l’attaque ou à proximité, hésitent, bafouillent, se trompent, donnent des versions et témoignages contradictoires, fassent des descriptions que d’autres témoins réfutent, tout cela est parfaitement compréhensible, admissible, voire un cheminement nécessaire. Chaque évènement de cette envergure, a son torrent de témoignages qui souvent s’opposent et parfois se corroborent les uns avec les autres dans certaines parties. Il serait inquiétant, si aux premières heures, on entendrait, de la bouche de tous les témoins, une seule et identique version des faits. Cela ne signifierait qu’une chose : Que les témoins se sont concertés en se mettant d’accord ou « aidés » pour ne livrer qu’une unique version, ce qui n’est jamais bon pour toute enquête sérieuse policière ou judiciaire.
Autre problème qui peut avoir de graves conséquences sur l’enquête, est l’approche des témoins par des personnes, immédiatement après les faits. Autant qu’à l’habituel, Les premières personnes qui rencontrent en premier les témoins, ne se privent pas de se transformer en « conseillères-expertes ». Elles indiquent aux témoins, tout au plus, leurs intérêts à ne pas trop traîner dans les parages, tout au moins, de retenir la langue sur ce qu’ils vont dire à la presse et aux enquêteurs, sous peine de prendre le risque de rencontrer quelques problèmes plus tard.
Les influences et les pressions sur les témoins, celles de leurs proches, s’exercent et se manifestant rapidement, dès l’instant que se produit l’évènement. Elles ont vocation d’aller à l’encontre de la manifestation de la vérité. On imagine qu’il y a d’autres filtres, dans les heures qui suivent l’attentant qui dissuadant certains témoins en leur conseillant de ne pas étaler publiquement les informations dont ils disposent et de ne les soumettre qu’aux enquêteurs de la police judiciaire.
Ceci dans une certaine mesure peut expliquer « la pauvreté » en images et en témoignages des médias tunisiens qui ont tendance à se réfugier dans un studio autour d’une table, devant la caméra entre journalistes et « experts »en livrant leurs constats et analyses de la situation. Or, la photo du tueur au bord de l’eau et la vidéo qui l’accompagne, repris le plus dans les médias, proviennent du site Sky News. Des sites tunisiens sont allés jusqu’à apposer leurs logos sur la photo, sans aucun complexe ni aucune pudeur.
Encore une fois, malgré la présence massive de Tunisiens aux abords de la plage de l’hôtel et sur les lieux de l’attentant, il s’avère que la source première qui a montré la photo du tueur, se trouve à l’écart de la tambouille médiatique tunisienne .
Le même document de Sky News où on entend le commentateur en anglais parler de l’évènement avec une voix émue, empreinte de pudeur et de respect, compte-tenu de la circonstance, qui aussi remercie et rend hommage aux Tunisiens qui se sont mis à la poursuite du terroriste, il a été repris, au lendemain de l’attentat, sur la chaîne Al Hiwar Attounsi. Devinez qu’est-ce que la chaîne a fait au document ? Elle a supprimé la bande son avec la voix du commentateur et en échange elle a mis de la musique ! Une véritable scénarisation honteuse. Un outrage fait à un document informatif en lui collant dessus une musique digne d’un film mélodramatique de fiction. (visible à la 02: 29). Une telle légèreté dans le traitement de l’information ne peut qu’être inadmissible et condamnable.
Ce n’est pas fini avec la scénarisation : La même chaîne a osé la reconstitution du drame à sa façon, par un court métrage construit par des images de synthèses (40:53) . Voici quelques une de ces images qui s’invitent pour donner une version du scénario :
Premières images avec un fondu enchaîné entre des images de synthèse de la carte de la Tunisie et celle d’une représentation de l’hôtel en image bien dépouillée. La photo réelle à comparer de l’hôtel est à côté. Les imagent se superposent et se confondent alors que la distinction des éléments, devrait être un principe pour comprendre et mieux cerner ce qui vient de se passer.
Image de représentation des touristes à l’arrivée du terroriste. Comment la chaîne pouvait être au courant de cette disposition des touristes et du type de matériel sur la plage?
Confusion totale entre plage et piscine dans les images de reconstitution. Il y a des ombres qui partent à droite et à gauche comme s’il y avait plusieurs spots sur le terroriste. —————————————–
— — — —- — – — — — — – —- — — – Il semble que c’est la représentation d’une dame sans cheveux qui porte un soutien-gorge de la même couleur que son corps et un pantalon moulu à rayures, en plein soleil hors le champ d’ombre d’un parasol.———————–
——————————-
——- Si l’on croit la version de la chaîne de télé, le terroriste avait les cheveux coupés et non longs comme il est affirmé ailleurs. Derrière lui, il n’y a ni badauds ni un centre nautique. Le désert avec des palmiers au bord d’eau.
Le terroriste abattu allongé sur la chaussée au bord d’un trottoir où tout semble bien entretenu bien propre et sans crevasses ni trous. Il est devenu bien rouge de la tête au pied , même ses vêtements, dès qu’il avait été abattu. Mystère!—- – ———————- ——— — ———————————– ——————————————————————— — ———– —————–
D‘autres ont laissé leur imagination allant jusqu’à faire une représentation picturale du terroriste, habillé en tee-shirt blanc et un short à motifs, en lui donnant l’allure d’un enfant courbé et qui a la tremblote :
Certains n’ont pas hésité à tamponner l’image et la photo du cadavre du terroriste par le nom de leur radio. Une appropriation macabre de l’évènement.
Sur l’image qui suit, on voit les corps des victimes mortes de l’attentat et à côté, l’image d’un individu qui se fait menotter les mains derrière le dos. Il est dit dans l’article qu’un « complice a été arrêté ». L’individu en question semble porter un tee-shirt blanc et un jean bleu. L’individu est de couleur blanche. Est-ce un appel à témoin, une invitation que lance le site à tous ceux qui ont rencontré une personne avec ces caractéristiques, le jour de l’attentat et à ses environs de se manifester auprès de la police pour témoigner ou bien, est-ce tout simplement une plaisanterie de journaliste, qui voulait simplement faire de l’illustration par une image truquée ? Si cette dernière supposition s’avère vraie, elle est grave car entre parfaitement dans le cadre d’un délit punissable par la loi qui consiste à faire de l’obstruction à la manifestation de la vérité et de l’entrave à l’exercice de la justice.
Le tamponnage des images par incrustation du nom d’un site, signifiant en résumé: « attention c’est à moi », est un phénomène en vogue en Tunisie. Le résultat du phénomène est grossier et il se fait sans discrétion, reléguant ainsi le souci d’une photo nette, de qualité et propre, au second plan. Certaines banques d’images étrangères, auprès desquelles piochent certains médias et journaux, dont certains sont des abonnés, utilisent ce procédé pour dissuader les sans-scrupules, à la main facile dans le copier-coller, qui seraient tentés de les reprendre sans achat des droits ou sans demander l’autorisation du détenteur des droits. Visuellement, l’image brute étant barbouillée, reste moche, vulgaire et de mauvais goût. Il y a d’autres moyens de faire la déclaration du « c’est à moi » tout en publiant une image, même s’il est difficile de faire respecter les droits à la propriété des images ou de présumer que le web est une forêt sauvage remplie par des intervenants, dont il n’est pas sûr que tous sont dotés d’un sens moral aigu qui pousse au respect du travail d’autrui et à se conduire de manière irréprochable. Il reste que visuellement, barbouiller une image est un sacrilège pour celui qui est sur la photo. Quand on fait du journalisme qui se respecte, il y a des champs avec une limite à ne pas franchir sans quoi, très vite on tombe dans le vulgaire, le ridicule et l’enfantin en exprimant le grossier « c’est à moi »!
Il s’agit d’un attentant qui a fait 38 victimes et autant de blessés et de dégâts dans leurs familles respectives et à la Tunisie. Un peu de retenue et d’humilité devant l’atrocité de l’acte commis, n’est pas de trop. Un journaliste, avec toute la prétention que peut dégager ce titre, même si l’expression « humilité » ne figure pas dans le lexique de la charte du métier de journaliste, rien ne l’empêche de s’accorder un moment de répit dans son exercice quotidien de rapporter d’évènements en s’interrogeant sur ce qu’il fait, se contenter de décrire ce qu’on lui a transmis comme information, dire, pourquoi pas, ce qu’il en pense en formulant ses théories et analyses, mais surtout, ne faire aucun zèle en exploitant un évènement tragique, cet attentat, en l’euphémisant par de la romance en musique, en le reconstituant avec des images de synthèses qui ne correspondent pas à la réalité des faits , comme si le terroriste était vert, qu’il venait de la planète mars et qui change de couleur suivant la température ambiante. Pas de mensonges, ni trucage ! Il vient de Gâafour et il est bien tunisien. En plus, quelques heures avant qu’il ne passe à l’acte, il était un citoyen-étudiant bien respectable. Si on laisse présumer qu’il a été manipulé, entendre qu’il a été l’objet d’un embrigadement par le trucage et la manipulation pour en faire une machine à tuer, il y a un temps où il faut dire stop et lorsqu’on est journaliste, refuser d’être un pourvoyeur d’informations manipulées ni jouer au manipulateur. Sky News a diffusé des images que tout le monde a vues qu’elles sont les siennes. Pas besoin d’inventer des images quand on ne peut pas ou on ne sait pas faire plus. Si les maigres images que les journalistes peuvent seulement prendre, ou qu’on les autorise à prendre, sont celles des quelques cérémonies officielles, qu’ils montrent leur aptitude de savoir les tenir propres et intactes, sans les souiller par les grossières empreintes d’une trivialité douteuse, en les montrant. Nul besoin de moyens pour accéder au raffinement, la conscience des limites de soi et la bonne tenue font l’affaire et c’est déjà amplement suffisant !