Salah Ben Omrane 09 janvier 2016 13:00
Lundi prochain, sur invitation de l’Assemblée des Représentants du Peuple et sur invocation de l’article 144 du règlement intérieur de la même Assemblée, le Président du Gouvernement, Habib Essid, devrait s’y rendre accompagné par ses nouveaux ministres devant les députés afin qu’ils obtiennent la consécration par le vote de confiance. Celui-ci, devrait s’effectuer au cours d’une séance plénière. Et s’il refusait de se prêter à la cérémonie, un, par souci de légalité de la demande et deux, parce que, à coup sûr, lui et ses coéquipiers doivent avoir une montagne de travail qui les attend dans leurs bureaux qui certainement doivent aussi avoir des règlements intérieurs respectables et à respecter?
Voici ce que dit l’Article 144 du Règlement Intérieur de l’Assemblée des Représentants du Peuple :
«Il est distribué aux membres de l’Assemblée, avant le début de la séance relative au vote de confiance d’un membre du gouvernement, un dossier contenant un exposé succinct sur les motifs du remaniement et une présentation courte du membre du gouvernement proposé(il est bien écrit proposé)… Il est conclu un vote de confiance individuel pour tout membre et sur la mission qui lui est attribuée. Il est exigé pou avoir la confiance de l’Assemblée ,l’obtention par l’accord de la majorité des membres.«
Problème! La constitution n’en dit pas un mot sur cette manière de procéder lorsqu’un remaniement ministériel intervient. Elle ne fait aucun renvoi vers un Règlement intérieur qui laisserait libres les députés fixer leur approbation des nouveaux ministres en cas de remaniement.
À propos du remaniement ministériel, il est disposé dans l’Article 92 de la constitution cet extrait :
يختص رئيس الحكومة ب:
– إحداث وتعديل وحذف الوزارات و كتابات الدولة ضبط اختاصاتها و صلاحيتها بعد مداولة مجلس الوزراء.
– إقالة عضو أو أكثر من أعضاء الحكومة أو البت في استقالتة ،وذلك بالتشاور مع رئيس الجمهورية إذا تعلق الأمر بوزير الخارجية أو وزير الدفاع.
« Le domaine du Président du gouvernement est :
– La Création, la modification et la suppression des ministères, des secrétariats d’État, fixation de leurs domaines, leurs utilités, après délibération du conseil des ministres,
– La révocation d’un ou plusieurs membres du gouvernement et de décider sur sa démission. Ceci en concertation avec le président du gouvernement si l’affaire concerne le ministre des affaires étrangères ou le ministre de la défense. »
La constitution étant la norme supérieure des lois, rien n’oblige le Président du gouvernement d’obtempérer devant la demande qui émane du Bureau de l’Assemblée des Représentants du peuple.Il devrait même s’en méfier !
Tout règlement intérieur est strictement intérieur et il ne s’applique pas à l’extérieur. C’est d’une évidence tautologique. Les ministres ne sont ni des employés de l’Assemblée, ni des députés et par conséquent ils ne sont soumis au règlement intérieur de l’Assemblée des Représentants du Peuples, qu’au titre de personnes extérieures. Ils ont l’obligation de se soumettre au règlement intérieur de l’Assemblée, uniquement quand les règles internes auxquelles ils doivent s’y conformer ne font pas exception aux dispositions inscrites dans la constitution. Telle est la hiérarchie dans l’organisation des pouvoirs avec une constitution qui laisse chaque structure de l’État, libre de mettre sur papier l’étendue de ses pouvoirs, autant qu’elle les imagine, mais elle ne lui garantit pas que tout le pouvoir, fruit de son imagination puisse faire autorité devant la suprématie des lois constitutionnelles. Preuve de la dérive dans l’imagination, l’emploi du terme « proposé » dans le même article 144 du RI, relatif au membre du gouvernement qui est déjà choisi et retenu dans l’équipe gouvernementale. Un terme qui veut bien dire ce qu’il dit à savoir que la décision du chef du gouvernement n’est pas souveraine dans le choix de ses ministres, que l’avis et le vote de l’Assemblée des Représentants du peuple, dans le cas d’un remaniement, valent, autant qu’un recours en procès, qui ne dit pas son nom et n’offre pas à « la partie attaquée » les moyens pour préparer sa défense dans un délai raisonnable. Un Appel de la décision du Président du gouvernement et du Président de la République. Une invitation qui a tout d’une signification qui indique aux deux sommités de l’État dans l’appareil de l’exécutif que leur décision dans ce cas précis est révocable, non pas pour faute, pour vice de forme ou par requête suivant les dispositions constitutionnelles à l’encontre d’un ministre en exercice, mais parce que les députés ont voulu que ce soit ainsi.
La Constitution est claire et il est faux de dire qu’elle ne l’est pas ou qu’elle a omis de préciser la condition qu’évoque l’Article 144 du règlement intérieur de l’Assemblée. Elle attribue aux députés le pouvoir de surveiller et d’agir sur le programme du chef du gouvernement en le convoquant pour lui réclamer des précisions sur son action ainsi que sur son orientation, ceci sur le fondement d’un vote de confiance qui a déjà eu lieu conformément à la constitution.
Que veut-dire un vote des ministres par les députés, hors du champ constitutionnel et en violation de la constitution?
Cela veut dire que les nouveaux ministres qui obtiendraient le vote par la majorité des députés pourraient se targuer devant leur chef du gouvernement d’avoir une autorité nouvelle qui est celle de l’action au nom de la majorité parlementaire. Ils pourront s’opposer aux choix du Président du gouvernement au nom d’une majorité qui les a approuvés. Pour affaiblir un Président du gouvernement, en semant le grain de la zizanie dans une équipe gouvernementale, on ne s’y prendrait pas autrement!
Cela signifie également qu’en cas de défaillance du gouvernement dans sa tâche d’exécution de son programme, la responsabilité du Président du gouvernement serait minimisée. L’Assemblée lui fournit déjà, la possibilité de s’appuyer sur l’argument que s’il était libre de choisir ses ministres , que le Président de la République a entériné son choix, que pour réaliser sereinement son programme, il a dû modifier partiellement la composition de son équipe, jugeant qu’ainsi il peut mieux concentrer ses efforts afin de réalisation ses objectifs fixés , mais qu’en effectuant le remaniement, l’Assemblée des Représentants du peuple est venue rompre le lien de subordination qui attachait ses ministres à sa présidence par un vote qui ne figure même pas dans la constitution.
Une assemblée législative qui court après des ministres pour leur accorder sa bénédiction, sans qu’elle n’y soit contrainte, sans que le chef du gouvernement ne le réclame et sans que ce ne soit inscrit dans la constitution, n’est il pas le comble de l’absurdité? Mais en réalité, la puissance partisane politique qui anime les députés, qui semblent veiller à ne laisser aucune occasion leur échapper pour affirmer leur contrôle sur le pouvoir exécutif, y compris quand la constitution ne le permet pas, n’est ce pas qu’une dérive parlementaire mais elle est également le signe d’une absence de séparation des Pouvoirs ?