Projet de loi sur la réconciliation nationale en Tunisie dans le sillage des missionnaires d’antan

Salah Ben Omrane  20 août 2015  16:15

   La réconciliationRéconcilier signifie concilier au moins une seconde fois, quand ce n’est pas plus. C’est l’action d’amener des personnes à se mettre d’accord. À la différence avec la justice, quand celle-ci  est appelée à intervenir dans un conflit, c’est la lecture de la loi qui est faite et toute décision de la justice se fait principalement au regard de la loi. Toute conciliation entre justiciables, tout arrangement entre eux, doit être conforme avec les textes de lois.

Le projet de loi sur la réconciliation économique et financière nationale proposée par le Président de la République¹, fait débat en ce moment. Il vise comme il est indiqué dans son préambule :

« فتح امكانية ابرام صلح بالنسبة للمستفدين من أفعال تتعلق بالفساد المالي  » .Traduction : « Ouvrir la possibilité de contracter un arrangement pour ceux qui ont profité d’actions qui concernent la corruption par l’argent« .

Revenons au sens contenu dans le terme « Réconciliation » pour mieux comprendre la substance  du projet.

Le terme réconciliation est apparu avec le christianisme. Son usage est lié à la cérémonie du baptême au cours de laquelle le nouveau chrétien, adulte ou enfant reçoit le sacrement du pardon pour ses pêchés. Or, il arrive même aux fidèles, déjà baptisés de commettre des écarts, des pêchés, voire des fautes graves susceptibles de peser sur la conscience et pour certains nuisent à leur réputation. C’est là qu’intervenaient les réconciliateurs, les prêtres. Jadis, c’était les premiers missionnaires lancés à la conquête du monde par l’Évangile, qui proposaient le service de l’absolution des fauteurs par le remède de la rédemption. Les évêques pionniers, avaient trouvé la solution du nouveau sacrement de baptême à proposer à ceux qui commettaient des fautes graves. Cela rendait bien service à une catégorie de gens, généralement composée d’oiseaux rares, d’égarés mais bien plumés. Il ne leur fallait pas attendre la dernière heure, le dernier souffle avant la mort, pour s’offrir une bénédiction. Si l’argent pour certains est une crasse terrestre, pour d’autres qui sont fortunés, il sert à pouvoir se délester de la crasse, peu importe les conditions de son accumulation, y compris si la richesse a été obtenue par le vol, le crime, la spoliation des biens d’autrui, de l’arnaque et tout ce qui est répréhensible  par la loi des terriens.

Les moines missionnaires irlandais, premiers voyageurs à la conquête du monde, malins comme on peut l’imaginer, étaient les premiers à inventer la pratique payante et lucrative du second-baptême. Le prix fixé variait suivant le degré de gravité des fautes commises, contre quoi, il fallait administrer un sacrement réparateur qu’on appelle la Réconciliation. Par ailleurs, Rome, au début du VIème siècle avait trouvé l’idée inventée par les chrétiens du nord de l’Europe, géniale et l’a vite adoptée en créant un espace confessionnel dans tous les édifices de prière.

C’est ainsi qu’a émergé cette « justice alternative », qui n’est ni celle des hommes, ni celle de Dieu, mais elle est les deux à la fois. L’auteur d’un crime avoue et obtient l’absolution sans passer par un tribunal des hommes puisqu’il était interdit au prêtre de communiquer ce que son oreille récoltait. En principe, d’après la croyance des gens du livre, il existe le dernier jugement. Le fautif, lavé de ses fautes par l’absolution est assuré que son passage devant son confesseur sur terre est une garantie de clémence que Dieu tiendrait compte.

Les premiers missionnaires, ainsi, s’étaient constitués un joli pactole, en évitant la prison à leurs clients par l’invention de l’absolution des pêchés et crimes tout en leur garantissant qu’ils seraient muets comme des carpes après toutes les confessions tirées. La similitude entre le mutisme des confesseurs et le projet de loi est si grand au point qu’il figure dans le projet de loi un article, interdisant l’usage des informations recueillies pour un autre usage, qui pourrait être une procédure de divorce ou la saisie du Procureur  de la République :

الفصل 9
لا يجوز استعمال المعلومات المصرح بها أو المتحصل عليها في إطار تطبيق هذا القانون لغير الأغراض التي سن من أجلها

Traduction : « Il est interdit d’utiliser les informations déclarées ou récoltées dans le cadre de l’exécution de cette loi, à des fins autres que celles qui sont destinées à leur emploi. »

On retrouve le terme « Réconciliation » dans des situations de conflits internes, propres à certains pays qui avaient vécu des conflits ethniques. L’Afrique du Sud, en est un, et il est un pays qui a connu des violences fondées sur la différence de couleur de ses citoyens. Les Pasteurs avaient joué un grand rôle pacificateur du pays dans la lutte contre le régime ségrégationniste Apartheid qui accordait aux citoyens blancs un droit à des privilèges au détriment de la population noire, majoritaire dans le pays. Le Père Desmond Tutu était un compagnon de lutte à Nelson Mandela. La réconciliation nationale était inscrite dans la loi de reconstruction du pays avec pour objectif la promotion de l’unité nationale dans un esprit de compréhension mutuelle qui devait faire taire les conflits et les divisions du passé.

La Tunisie est loin des conflits de cette nature qui sont ethniques et raciaux à la base,  pour que l’incrustation du terme réconciliation, »المصالحة », y soit appropriée. Il y a des précautions à prendre dans l’emprunt et le choix des termes pour résoudre des problèmes qui ont un contexte et une spécificité. Il y a même danger dans le rafistolage, la précipitation et l’acquisition de certains termes forgés avec un passif qu’il est difficile d’occulter. Car, si on emprunte un terme qui a tout un historique derrière , son usage pour un autre effet, dans un domaine qui est de l’ordre de l’ économique et du judiciaire, comme dans le cas présent dans le projet de loi, ce mauvais usage peut générer des complications et des contaminations inattendues, à savoir, inoculer le risque de réveiller des  démons qui dorment tels les conflits ethniques et religieux dans une Tunisie qui n’en a pas besoin actuellement.

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¹ texte du projet

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