Salah Ben Omrane jeudi 05 mai 2016 23:24
Cinq ans après le passage de Persépolis sur Nessma TV, les passions autour de la télé restent une plaie ouverte en Tunisie.
Les dits heurtés par les programmes de la télé —Al Hiwar Ettounsi est en ce moment dans leur viseur— n’ont pas abdiqué devant ce qui leur apparaît une charge immonde sans délicatesse contre les principes qui régissent une vie paisible et tranquille pour tous devant l’écran télé. Sujets délicats que la chaîne leur a consacrés du temps d’antenne, il y a la proposition du ministre des affaires religieuses d’ouvrir les établissements scolaires cet été, en guise de de faire apprendre aux jeunes le Coran et une émission dont le sujet était l’homosexualité. La coupe est pleine pour les offensés attitrés qui y voient une programmation malicieuse et diabolique prompte à écorcher les bonnes mœurs en écartant les téléspectateurs, surtout les jeunes, du bon chemin.
Approximativement, ceux qui lancent des babouches aujourd’hui contre Al Hiwar Attounsi, sont à peu près les mêmes qui s’étaient élevés contre le film franco-iranien. Ils trouvaient, à l’époque, que le film les a choqués dans leurs croyances, qu’ils étaient victimes d’une atteinte à leur droit et liberté, non seulement de ne pas apprécier la représentation de Dieu sous une forme humaine, qu’ils considèrent un sacrilège, mais encore de punir la chaîne de télévision qui avait « osé » diffuser le film. Avant qu’ils ne se constituent en association de martyrs de la télévision, qu’ils ne revendiquent un quelconque droit à l’indemnisation, faisons quelques précisions afin d’apaiser la tension entre télé et téléspectateurs et reconnaissons leur, malgré tout, leur droit à la sécurité médiatique, à savoir leur droit à un langage télévisuel de qualité qui doit être dispensé avec un minimum de professionnalisme.
Côté chaîne, deux animateurs piliers d’Al Hiwar Ettounsi, Nawfel Ouertani et Sami El Wafi, n’apprécient pas la campagne de dénigrement dirigée en particulier contre leur chaîne. N. Ouertani pointe l’accusation vers le giron du parti d’Ennahda. Il a déclaré que «cette campagne est injuste», surenchérissant : «que la charge haineuse contre la chaîne, est couvée depuis quelques années contre la chaîne, que les incitateurs qui appelant à son boycott ou à manifester contre ses programmes, ne réalisent pas le ridicule dans leurs appels alors que les gens ne sont pas descendus dans la rue pour L’Assemblée nationale qui est vide, pour les dérapages de langage des politiques ni pour les fautes des politiciens qui poussent le pays contre le mur alors qu’un programme télé ne peut jamais le faire. (à 07:25 de la vidéo)»
Il est vrai qu’un média qui se calfeutre dans le conformisme, il se met à l’abri de toute critique. Car, avec la politique d’une ligne éditoriale qui se construit sur l’évitement de ce qui risque de fâcher les notables de l’ordre moral, il n’y a pas à s’inquiéter sauf que cela ne garantit pas la paye des salaires des employés de la chaînes. Pour gagner des dinars, il faut ameuter la foule. Avec le score d’audience, on attire les annonceurs et on peut négocier les prix vers la hausse. Et pour ameuter les passants, on n’a pas encore inventé la recette qui pourrait remplacer ce qui touche au sexe, au sang, à l’argent, au sordide, à la castagne et à la polémique.
Les journalistes et animateurs de cette chaîne se défendent en exprimant leur liberté de choisir les sujets qu’ils estiment appropriés à traiter. Ils revendiquent leur droit de faire des erreurs sachant que l’univers médiatique, avec relativement une certaine liberté acquise depuis le changement intervenu en 2011, est à construire et ils se placent, comparativement aux autres chaînes, à la première ligne du front des innovateurs.
Que peut-on trouver à redire! De l’amateurisme dans ses programmes? Une surexposition d’invités amis de la chaîne, notamment des personnages politiques? De la maltraitance des sujets évoqués? De la provocation, moteur d’excitation afin de passionner les débats? Des invités en roue libre sans recadrage par l’animateur? Des Animateurs/journalistes moralisateurs qui s’érigent en procureurs, contrairement à toute éthique professionnelle où le journaliste doit informer et se garder d’émettre son avis sur les sujets qu’il propose? Des formats copiés à des chaînes françaises? Des questions ridicules et enfantines « carton jaune/rouge », « flop/top » et demande à l’invité de « parler au répondeur »? De la manipulation de l’information sous prétexte qu’elle résulte d’un prétendu sondage avec toutes les caractéristiques de l’absence de sérieux dans le choix de cette méthode de consultation publique? Des démonstrations honteuses et dénuées de tout sérieux dans la représentation de l’opinion publique sur des sujets relevés par la chaîne et avec des questions bien orientées? De l’abus en jouant avec les faits en images tronquées et de synthèse?
À toutes ces interrogations, une réponse pourrait y convenir: Il y a souvent un vice dans la méthode de présenter au téléspectateur des faits avec une insistance obsessionnelle en tentant de lui faire croire que c’est de l’information correspondante à « la réalité ». Or, le téléspectateur n’est pas dupe et n’aime pas être dupé. Ce ne sont pas les sujets présentés par la chaîne qui inquiètent ou qui dérangent le téléspectateur, c’est la manière dont ils sont traités qui ne passe pas avec un automatisme que souhaiterait le réalisateur de l’émission. Présenter au téléspectateur du truqué pour du vrai, en insistant et en lui faisant croire que c’est de la bonne qualité, il a tous les droits de se sentir offensé, provoqué et crier contre supercherie.
Prenons un exemple qui condense quelques manipulations dont sont capables les gens de la télé, avec un effet de dramatisation. Contemplez cette vidéo de la chaîne ( 30ème minute). Il s’agit d’une caméra en déplacement qui au début enregistre normalement l’entrée Service des urgences de l’hôpital Rabta. Soudain, sans raison apparente, pendant que l’animateur sur le plateau promet qu’il va montrer un sondage, les images enregistrées, de l’entrée de l’hôpital défilent et deviennent saccadées. Qu’est ce qui est arrivé au caméraman? A-t-il été bousculé à l’entrée de l’hôpital à tel point qu’il ne pouvait plus stabiliser sa caméra ? Suspens! On aperçoit des images, comme si elles étaient prises à l’insu des visiteurs et de l’hôpital « en caméra cachée », sans qu’aucune explication sur le changement du procédé d’enregistrement n’ait été expliqué, ni justifié au téléspectateur. Drôle de façon de défoncer une porte ouverte. Apparaissent aussi sur l’écran quatre lignes en équerres avec une indication « CAMERA CACHÉ » (sic) avec une faute d’orthographe, » REC • » et l’indicateur que la charge de la batterie est aux trois quarts. De qui se moque-t-on avec ce procédé de « caméra caché qui n’a aucune raison d’être dans le récit. On se moque de l’hôpital, des téléspectateurs ou des invités autour de la table du studio? C’est là qu’on réalise qu’il y a des cas où le matériel technique de réalisation peut devenir un jouet sans considération pour les performances auxquelles il a été conçu et fabriqué. Certainement pas pour faire de l’esbroufe!