Le président Kaïs Saied et l’article 80 de la constitution tunisienne

Salah Ben Omrane 01 août 2021 à 0:40

Enfin, ceux qui criaient jusqu’à il y a quelques jours : «nous avons la meilleure constitution au monde» vont devoir prendre une longue respiration et se calmer, après le concert d’avis, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, en à propos de l’initiative du président de la république Kaïs Saied qui reprend la main, avec fermeté, dans la conduite de sa politique de Chef de l’État.

Il s’est appuyé sur l’article 80 de la Constitution en décidant de livrer bataille contre les puissances de la corruption qui gangrènent le pays, en commençant par isoler momentanément un des lieux qui en principe devrait être le lieu qui abrite des fervents députés enclins à dénoncer la circulation de l’argent sale, de son blanchiment, livrer bataille contre la corruption, fermer la porte au népotisme, agir contre le vol, la dilapidation, la mauvaise gestion et les malversations avec l’argent public. l

Voici, in extenso, le fameux article 80 de la constitution:

Traduction par moi-même (texte en couleur bleue) et naturellement avec toutes les précautions de réserves:

[ Il revient au président de la république, en cas de danger imminent qui menace les fondements de la nation, la sécurité ou l’indépendance du pays, qui entrave le fonctionnement ordinaire des rouages de l’État, de prendre les mesures qu’exige cette situation exceptionnelle. Ceci, après  consultation du président du gouvernement, du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après avoir tenu informé le président de la Cour constitutionnelle, il fait une déclaration sur les mesures dans un avis à la population.

Il faut que ces mesures visent à assurer le retour au fonctionnement ordinaire des rouages de l’État dans les plus brefs délais. l’Assemblée des représentants du peuple est réputée, durant cette période, en état permanent de tenue.

 Dans cette situation, il n’est pas permis au président de la république de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple, comme il n’est pas autorisé la présentation d’une motion de censure contre le gouvernement.

Après que soient passés trente jours  de validité de ces mesures, et à tout instant après cela, la cour constitutionnelle s’engage à la demande du président de l’Assemblée des représentants du peuple ou trente de ses membres, de décider sur la permanence ou non de la situation exceptionnelle. La Cour constitutionnelle déclare publiquement sa décision dans un délai maximum de quinze jours.

La mise en œuvre de ces mesures cesse avec la cessation de leurs raisons. Le président de la république émet un avis à ce sujet à la population. ]

Arrêtons-nous quelques instants sur le contenu de l’Article 80. Je me suis appliqué du mieux que je puisse le traduire de l’arabe afin de ne perdre aucune miette de sa construction.

Cette première phrase est intéressante car elle prouve bien que les rédacteurs de la constitution étaient à des milliers de kilomètres pour imaginer ou prévoir ce qui est en train de se passer maintenant :

■ [Il revient au président de la république . . .  de prendre les mesures qu’exige cette situation exceptionnelle . . . après  consultation du président du gouvernement, du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après avoir tenu informé le président de la Cour constitutionnelle]

Il est question que le président de la république consulte le président du gouvernement, le président de l’Assemblée des représentants du peuple.

Toutefois, il n’est inscrit nulle part dans le présent article, l’objet de la consultation, son lieu, les moyens et bien entendu aucune obligation pour le président de la république de tenir compte de l’avis des personnes qu’il a à consulter. Autrement, le président de la république est dans les clous de la légalité , s’il prend son téléphone, pas besoin de se déplacer ou de faire venir qui que soit à son bureau, qu’il appelle un de ses deux interlocuteurs, au premier, il le consulte pour donner son avis sur la meilleure recette de préparation d’une bonne omelette et le second, il le consulte, lui demandant, son avis sur ce qu’il y a de meilleur comme endroit pour prendre quelques jours de vacances cet été. Ainsi, il a légalement accompli sa mission de consultation. Pour ce qui est de la Cour constitutionnelle qui n’existe pas, le président de la république ne peut pas tenir informé ce qui n’existe pas.

■ [ Il faut que ces mesures visent à assurer le retour au fonctionnement ordinaire des rouages de l’État . . . l’Assemblée des représentants du peuple est réputée, durant cette période, en état de tenue. ]

Attention, dans l’article de loi, Il n’est pas dit, qu’est ce qui est précisément « réputé en état d’être en tenu » par l’évocation de l’Assemblée des représentants du peuple ? Le fonctionnement administratif ? Les commissions ? Les consultations ? Les séances plénières ? Il y a flagrance d’une absence de précisions ! En tous les cas, il ne figure pas dans l »article 80 une indication sur une quelconque séance ou session que des députés ont ou n’ont pas à tenir tenir.

■ Pour fermer la parenthèse du gel des activités de l’Assemblée des représentant du peuple ou de prolonger la situation exceptionnelle de l’état du gel, il est prévu dans la constitution que la Cour constitutionnelle devrait jouer le rôle de l’appréciateur de la nouvelle situation après les 30 jours de gel, à la demande du président de l’Assemblée des représentant du peuple. Le président de l’Assemblée des représentant du peuple n’a aucune ouverture qui lui permet d’intervenir dans le cadre du même article 80 en l’absence de la Cour constitutionnelle. Il est « condamné » à subir les effets de l’article sans porte de sortie.

N’ayant pas de Cour constitutionnelle, aucune institution étatique n’est en mesure, légalement, de décider à sa place où d’apprécier l’éventuelle nécessité de prolonger dans la durée la situation exceptionnelle. Il n’est pas exclu que le président de la république, chef suprême de l’exécutif, organise après consultations et constats, la fermeture de la parenthèse du gel de l’Assemblée des représentants du peuple après s’être assuré que les motifs qui l’ont poussé sont soient éliminés, soient rendus sans effets de nuisance.

Le président de la république est ainsi devenu le maître du jeu dans une situation inédite et sur fond de crises multiples : sanitaire, sociale et politique. Le contrat-engagement sur lequel il a été choisi par ses électeurs au suffrage universel, qui consiste à redresser le pays, par des actions qui créent un contexte qui favorise les créations d’emplois tout en garantissant un fonctionnement démocratique des institutions de l’État. Son atout aux yeux de ses électeurs, est qu’il soit un président sans parti. Pour une grand majorité de la population, les partis politiques font parti des problèmes et non des solutions. Or, c’est en effet l’absence d’un relais ou d’un parti front de sa politique qui l’a fragilisé parmi les membres de l’Assemblée des députés. Comme tout exécutif, le président de la république ne peut pas se contenter de gérer les affaires courantes, d’accepter l’asphyxie des adversaires politiques, en demeurant dans l’attente d’une prochaine élection. Il doit soumettre des lois en engageant sa vision, voulue et souhaitée par la majorité des Tunisiens qui l’ont choisi à 70%.

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